- IRAN
- IRANDans les années 1970, l’Iran évoquait, pour la majorité des Occidentaux, l’image d’un pays aux traditions multimillénaires engagé sur la voie d’une modernisation rapide, profitant d’un exceptionnel développement grâce à l’abondance de ses ressources pétrolières. Les événements révolutionnaires de 1978-1979, le rôle décisif que jouèrent, en cette circonstance, les ‘olam (docteurs de l’islam), et en particulier l’ yatoll h Khomeyni, l’instauration (le 1er avril 1979) d’une République islamique instituant un contrôle direct des religieux sur la vie publique, rejetant l’occidentalisation et imposant l’islamisation des mœurs, ont radicalement modifié cette image et pris à contre-pied les pronostics les plus généralement répandus sur l’avenir de ce pays. Déconcertés par la nature de cette révolution – sans doute un des événements les plus importants du XXe siècle par l’originalité de ses formes et l’étendue de ses implications –, beaucoup d’observateurs se sont cantonnés dans des jugements à l’emporte-pièce, qualifiant de «fanatique», d’«obscurantiste», de «rétrograde» un mouvement dont les causes, le sens et les perspectives leur échappaient. Il est vrai que les événements survenus en Iran ont eu de quoi dérouter, tant ils se pliaient mal aux schémas classiques d’analyse des révolutions (mais, précisément, ne devrait-on pas repenser ces schémas?).Il est vrai aussi que le bilan d’une quinzaine d’années de République islamique n’incite guère l’opinion à un effort de compréhension approfondie: intransigeance et brutalité dans la répression des minorités et des opposants, paupérisation de la société, exil massif des élites (environ 3 millions d’Iraniens vivent à l’étranger), organisation de mouvements et d’attentats terroristes... sont les traits les plus fortement attachés à l’image de l’Iran aujourd’hui, devenu une des nations les plus répulsives du monde aux yeux des Occidentaux. Au-delà de ces aspects les plus apparents, et bien réels, l’analyse de la révolution islamique et de l’Iran actuel révèle une profonde complexité: le poids de traditions culturelles difficilement intelligibles de l’extérieur, des tendances contradictoires au sein des appareils dirigeants – et non un édifice conceptuel monolithique –, des atouts maintenus, malgré la récession, qui confirment l’Iran dans son rôle de grande puissance régionale, bref une situation, à la fois brouillée et ouverte, que l’on ne peut enfermer dans quelques formules incisives.Trois formes d’analyse s’imposent pour prendre la mesure, avec le recul nécessaire, de l’Iran contemporain: l’une, géographique, présentant les traits dominants de l’économie rurale et urbaine du pays; la deuxième, historique, campant, à l’échelle des deux siècles passés, les changements politiques et l’émergence, dès le XIXe siècle, des mouvements de contestation islamique; la troisième, anthropologique, cernant les facteurs – notamment culturels – qui entraînèrent la crise révolutionnaire de 1978-1979 puis l’instauration de la République islamique, ainsi que les problèmes liés à l’hétérogénéité sociale et ethnique du pays que doit et devra affronter l’Iran, quelle que soit, par ailleurs, son évolution politique.1. Géographie et économie de l’Iran contemporainL’Iran est un haut plateau, dont l’altitude varie le plus souvent de 800 à 1 500 mètres, incorporé à l’ensemble des chaînes plissées alpino-himalayennes, bordé au nord par le bourrelet montagneux des chaînes de l’Elbourz et du Khur s n, au sud par les chaînes du Zagros et du Baloutchistan, et incurvé en cuvettes dont les plus profondes (Grand Kavir, désert de Lout, à moins de 300 m d’altitude) ont subi une dégradation aride prononcée. Les précipitations annuelles ne dépassent 400 mm que dans les chaînes septentrionales avec leur bordure caspienne, et dans la partie occidentale du Zagros, ainsi que sur quelques hauts reliefs isolés. En dehors de ces zones montagneuses, la culture pluviale des céréales n’est possible que dans la partie nord-occidentale du plateau (Azerbaïdjan), à l’exclusion même des bassins les plus abrités. Le déboisement est quasi total, à l’exception de la frange humide de la Caspienne. Ainsi se dessine un double contraste naturel, d’une part entre les bourrelets montagneux périphériques, plus arrosés, et le haut plateau central aride, d’autre part entre le Nord-Ouest et le Sud-Est.Une population de sédentaires, cultivateurs minutieux de leurs oasis et de leurs vallées montagneuses, s’est accrochée à ce milieu aride. Elle a constitué la base d’une nation qui agglomère autour d’elle d’importantes minorités.Le prodigieux essor de l’extraction pétrolière a fourni, depuis trente ans surtout, les éléments d’un développement appréciable, quoique récemment ralenti. Le système économique et social, qui restait encore, au milieu du XXe siècle, extrêmement archaïque, notamment dans des campagnes dominées par la grande propriété, a été profondément transformé par une importante réforme agraire, dont un effet négatif a cependant consisté en l’accélération d’un exode rural qui a abouti à une urbanisation dramatique, aux conséquences sociales spectaculaires.La vie ruraleSystèmes de culture et conditions techniquesIl faut distinguer, dans les campagnes iraniennes, une vieille agriculture sédentaire, conservée dans les noyaux de peuplement stables, héritière de traditions savantes plus que millénaires, et une agriculture d’ascendance nomade récente, généralement beaucoup plus rudimentaire, dans les espaces naguère parcourus par les bédouins et reconquis par la culture à l’époque contemporaine. L’ancienne agriculture iranienne, dans les grands complexes irrigués comme celui d’Ispahan, ou dans les fonds de vallées irrigués et aménagés en terrasses des régions montagneuses, obtient des rendements très élevés; ceux-ci sont de l’ordre de 35 à 40 quintaux par hectare pour la culture céréalière dans les noyaux irrigués, abondamment fumés et mis en culture permanente, le plus souvent, par association avec des luzernières qui nourrissent un important bétail. À la périphérie de ces terroirs en culture intensive, on passe à des champs en culture pluviale, à jachère biennale ou même à culture épisodique, où le rendement des céréales ne dépasse pas 10 quintaux par hectare en cas de fumure régulière et seulement 4 à 5 quintaux dans les secteurs les plus externes, sans apport de fumure autre que celui fourni par le bétail. C’est à ce niveau qu’est généralement pratiquée l’agriculture d’ascendance nomade, qui occupe d’immenses espaces, notamment dans le Zagros, encore récemment livré aux tribus pastorales.Le matériel de l’exploitation reste très rudimentaire. Les transports ruraux continuent de se faire encore souvent par animaux de bât, et les chariots ne sont connus qu’en Azerbaïdjan. La mécanisation a cependant fait son apparition (Gurg n, province de Téhéran, F rs, notamment), à partir des grandes propriétés. Les techniques d’irrigation, en revanche, bénéficient d’une expérience très riche. À la veille du développement récent des grands barrages, on estimait que le tiers environ des terres irriguées recevait l’eau des rivières, par barrages de dérivation élémentaires, dans toutes les régions montagneuses. Une faible proportion (5 p. 100 environ) est irriguée par puits, dans les bassins du F rs, dans la plaine littorale du golfe Persique, en bordure également de quelques oasis de l’Iran central (Ispahan, Yazd). Environ 60 p. 100 sont irrigués par galeries drainantes souterraines (qan t ) captant l’eau des nappes profondes sous les piedmonts montagneux, technique iranienne ancienne qui a connu sur le plateau des développements prodigieux. Le débit total des qan t est évalué pour le pays à environ 480 mètres cubes par seconde, et la surface totale cultivée grâce à eux à plus d’un million d’hectares.Production agricole et expansion des terres cultivéesLes principales productions agricoles restent céréalières: 8 millions de tonnes (Mt) de blé et 2,5 Mt d’orge pour les années de récolte moyenne, 2 Mt de riz sur les côtes de la Caspienne et dans le Kh zist n. Diverses productions fruitières, et notamment les agrumes, les dattes, les pistaches et les amandes, complètent le régime alimentaire. Mais les cultures industrielles ont beaucoup progressé. La betterave à sucre sur le plateau, dans la grande vallée du Khur s n, la région de Téhéran et en Azerbaïdjan, la canne à sucre dans le Kh zist n fournissent respectivement 4 Mt et 800 000 t, soit 500 000 t de sucre de betterave d’une part, 60 000 t de sucre de canne d’autre part (plus 40 000 t de mélasse), et la surface cultivée en betterave a plus que quintuplé en trente ans, cependant que la culture de la canne, pendant la même période, partait à peu près de zéro. Mais parallèlement la consommation de sucre a considérablement augmenté avec l’accroissement de la population et l’élévation du niveau de vie, et les importations de sucre n’ont pas totalement disparu, bien que le pays se soit, en ce domaine, rapproché de l’autosuffisance. Ce stade est presque atteint pour le thé, boisson nationale, dont la production, qui s’est considérablement développée dans les plantations du G 稜l n et du M zandar n, dépasse 40 000 t. Le tabac, notamment dans la région caspienne et près d’Ispahan, et la soie (dans la plaine littorale caspienne) ne sont que des productions secondaires, mais la culture cotonnière (1 100 000 t en moyenne), dans le Gurg n et le Khur s n, le Kh zist n et le F rs en particulier, alimente un commerce notable, le tiers des exportations (et le premier poste) en dehors du pétrole. Les produits de l’élevage, enfin, tiennent une place importante dans l’économie, avec un troupeau considérable de petit bétail, peut-être 50 millions de têtes (dont près d’un tiers de chèvres), qui est en grande partie entre les mains des nomades, notamment dans le Zagros.Si le grand développement des cultures industrielles est ainsi déjà la marque d’une agriculture évoluée, parfois même exportatrice (coton, fruits), le déficit alimentaire en produits de base, cependant, est de plus en plus lourd. Les importations de céréales et de viande (celle-ci provenant en partie, par contrebande, d’Afghanistan et de Turquie, mais surtout de plus en plus des pays industrialisés, d’Australie et de Nouvelle-Zélande) ne cessent de croître. La surface cultivée est évaluée à 15 millions d’hectares, dont un quart environ sont irrigués et une fraction très importante en culture pluviale, constamment en jachères. Son extension, qui a été importante au cours du dernier quart de siècle, n’a pas été suffisante pour résoudre le problème alimentaire, et a été d’ailleurs inégalement répartie entre les divers foyers agricoles déjà existants. Les vieux villages de montagne ont presque tous atteint les limites de l’agrandissement possible de leur terroir cultivable. C’est dans les plaines que restent disponibles de vastes espaces. Une grande culture pluviale, mécanisée, de céréales, s’est développée dans le Gurg n et dans le Kh zist n, où les chefs nomades turkmènes ou arabes, sédentarisés avec leurs ressortissants, ont largement reconquis les steppes cultivables. Mais, sauf dans des secteurs privilégiés, les rendements de l’agriculture pluviale sont trop aléatoires pour assurer une base satisfaisante d’existence, et seule l’irrigation peut fournir l’eau nécessaire aux cultures. Autour des oasis de l’Iran central, comme Ispahan, Yazd ou Kirm n, et dans la grande vallée du Khur s n autour de Machad, le forage de puits profonds a permis à la bourgeoisie urbaine de développer de moyennes et de grandes exploitations orientées vers les cultures pour la vente – fruits, coton ou betterave notamment. Il en est de même dans la plaine du Gurg n et dans les bassins du F rs. Mais ces progrès restent limités aux régions où existent des nappes souterraines accessibles. Aussi de grands aménagements hydrauliques ont-ils été entrepris à partir des fleuves.Dans l’Elbourz, le barrage du Saf 稜d R d, avec une retenue de 1,8 milliard de mètres cubes d’eau et une puissance installée de 80 000 kW, a permis, depuis 1958, une extension considérable des surfaces irriguées dans la plaine du G 稜l n, réalisant ce paradoxe de collecter des eaux sur le versant aride intérieur pour les concentrer sur le versant humide où, en fait, le Saf 稜d R d, gonflé de septembre à mars, se réduisait à de maigres filets au moment où la riziculture exigeait de grandes quantités d’eau. Le périmètre irrigué dans la plaine est passé à 140 000 ha, faisant plus que doubler, et ses rizières reçoivent maintenant l’équivalent de 1 600 mm d’eau qui viennent s’ajouter aux 300 mm fournis jusque-là par les seules pluies d’été. La production de riz a ainsi pu quintupler. D’autres réalisations moins impressionnantes ont été achevées en Azerbaïdjan, sur le bas Araxe et sur les rivières du bassin méridional du lac d’ 樓rmiah; dans le Gurg n à partir de l’Atrak; sur le Gulpaig n R d et l’ bchineh R d sur le versant intérieur du Zagros. Le détournement des eaux du cours supérieur du K r n vers le Zayandeh R d, accompli de 1948 à 1953, avec percée d’un tunnel de 2 km, a permis d’accroître considérablement le volume d’eau disponible pour l’oasis d’Ispahan. Vingt ans plus tard, la construction sur le même fleuve du barrage de sh h Abbas le Grand, à l’entrée dans la plaine à l’amont immédiat de l’oasis (1,2 milliard de mètres cubes de capacité, avec 55 000 kW installés), a régularisé le rythme saisonnier des apports d’eau sur 95 000 ha qui souffraient cruellement de la sécheresse estivale. Enfin, les ressources potentielles les plus importantes se trouvent sur le versant sud-ouest du Zagros, dans le Kh zist n. Le grand barrage du Diz, d’une retenue de 3,3 milliards de mètres cubes, avec 520 000 kW installés, a été mis en eau à partir de 1963, mais la mise en valeur du périmètre irrigué, qui atteint 100 000 ha, s’est faite lentement et non sans déboires, et est encore loin d’être achevée. La construction d’un ouvrage d’envergure équivalente sur le K r n, à Masdjid-Suleim n, peu avant l’entrée du fleuve dans la plaine (3,9 milliards de mètres cubes de retenue, périmètre irrigué prévu de 95 000 ha, puissance électrique installée d’un million de kilowatts), a été étudiée depuis 1970, mais la date de réalisation est encore imprévisible. La rentabilité de ces grands ouvrages n’est pas discutable en théorie, et on l’avait calculée à près de 25 p. 100 pour le barrage du Saf 稜d R d, mais elle est considérablement réduite par la lenteur de l’aménagement des périmètres. Aussi une assez nette involution de la politique hydraulique a-t-elle été perceptible depuis le début du Ve plan quinquennal (1972-1973). On s’oriente de préférence depuis lors vers des réalisations mineures, moins ambitieuses, comme la réparation des qan t et la lutte contre les pertes le long des canaux. La construction même de qan t, à peu près stoppée aujourd’hui, demeure dans la conjoncture économique actuelle parfaitement rentable.La répartition des terres: la réforme agraire et ses conséquencesL’agriculture iranienne portait, jusqu’au milieu du XXe siècle, le poids d’un régime social extrêmement archaïque. On estimait en 1958 à un dixième du total les villages appartenant à la Couronne (surtout dans des régions périphériques où des confiscations avaient accompagné la difficile instauration de l’autorité du monarque), à un tiers la très grande propriété privée (par villages entiers comme unité minimale), à un tiers environ la petite et moyenne propriété paysanne (en particulier dans les régions montagneuses de l’Elbourz, du Khur s n méridional dans le piedmont du Zagros, de Qum à Yazd), le reste se partageant entre la moyenne propriété absentéiste (généralement un sixième du village) et les biens de mainmorte religieuse (ouqaf ). Ces conditions étaient aggravées par le système d’exploitation attribuant souvent au propriétaire jusqu’à 70 ou 75 p. 100 de la récolte, sans même qu’il assure une part des dépenses.La loi du 9 janvier 1962 interdit à un propriétaire de conserver plus d’un village comme propriété personnelle, les autres devant être répartis entre les paysans exploitants, à charge pour ceux-ci de payer le prix de la terre en quinze annuités au gouvernement qui s’engageait à dédommager les propriétaires par versements échelonnés. Une seconde étape, à partir de 1963, s’est appliquée aux villages «retenus», contraignant les propriétaires à les céder ou à les louer aux exploitants contre des rentes fixes en argent. Seuls ont été exclus les terres en culture mécanisée, à concurrence de 500 ha par propriétaire, les vergers et plantations, les bois de peupliers. Le plus difficile a été l’établissement des coopératives destinées à prendre le relais des grands propriétaires pour l’exploitation et pour l’entretien des ouvrages d’irrigation. Néanmoins, dès 1968, 8 000 coopératives, intéressant totalement ou partiellement plus de 20 000 villages, avaient pu être créées, et les difficultés semblaient surmontées.Dans les années 1970, la réforme achevait d’entrer peu à peu en application dans l’ensemble du pays. Elle atteignait cependant à peine, aux derniers temps du régime Pahlavi, les régions les plus périphériques, notamment le Sud-Est (Baloutchistan), les côtes du golfe Persique, le Gurg n. Elle avait démarré beaucoup plus rapidement dans les provinces caspiennes, l’Azerbaïdjan, le plateau central et le F rs, la capacité du paysan à profiter de la réforme ayant semblé être en raison inverse de son degré de pauvreté et de soumission au grand propriétaire, auquel était largement lié le niveau d’alphabétisation et de compétence agricole, indispensables au fonctionnement des coopératives. Mais l’indépendance de caractère, la robustesse des paysans ont pu jouer également. Ainsi, en pays kurde, malgré un très fort pourcentage d’analphabétisme et de mauvaises conditions économiques au départ, une certaine rudesse et les qualités d’initiative de cette population belliqueuse l’avaient rapidement engagée dans le mouvement. Au total, les différenciations régionales et de développement ont été accentuées. Les pôles de progrès ont été renforcés et les archaïsmes relatifs également.En fin de compte, malgré le caractère limité de la réforme (environ 15 p. 100 des paysans iraniens ont reçu des terres et sont nouvellement devenus propriétaires, dont probablement les deux tiers en quantité suffisante pour assurer l’équilibre de leur famille), des résultats spectaculaires ont été atteints, spécialement dans le domaine social. L’atmosphère des campagnes iraniennes avait profondément changé, le niveau de vie s’améliorait de façon visible, partout les paysans avaient pris confiance et assurance. On a assisté, au cours de ces deux décennies, à l’émergence progressive d’une classe moyenne, de paysans aisés ou leaders de village, qui relaie les grands propriétaires dans leur rôle de prêteurs d’argent et de directeurs d’exploitation, et se recrutent tout naturellement parmi ceux qui disposent d’un embryon de capital et d’un début d’instruction pratique. Cette nouvelle classe dirigeante en formation sera beaucoup plus proche des réalités terriennes et constituera un ferment beaucoup plus actif de progrès technique que les grands propriétaires absentéistes. L’esprit d’initiative et de responsabilité a maintenant largement pénétré dans les campagnes iraniennes.D’autres conséquences ont été beaucoup moins positives. Le fait que les paysans non tenanciers aient été exclus du bénéfice de la réforme et la rupture du régime social traditionnel de la grande propriété où ils trouvaient tant bien que mal à s’insérer ont ainsi considérablement accéléré l’exode rural et mis en mouvement vers les grandes villes, au cours des décennies 1960 et 1970, des masses misérables et incultes qui ont largement constitué l’instrument de la révolution islamique.La vie urbaineVieux pays de vie rurale sédentaire, l’Iran se caractérise également par l’ancienneté de la vie urbaine et sa prolifération, par son instabilité aussi, que rend sensible le destin des capitales tour à tour promues et déchues en fonction de la succession des régimes politiques et des difficultés de la centralisation sur le plateau iranien, dont toute la partie axiale, dans le centre et le sud-est du pays, est occupée par des déserts. Un alignement urbain important jalonne ainsi la zone où le plateau central iranien touche aux chaînes du Zagros, de Hamad n à Ispahan (1 200 000 hab.), Yazd et Kirm n. Mais les tendances centrifuges l’emportèrent presque toujours, et la fixation de la capitale à Ispahan ne fut guère qu’un épisode de courte durée (aux XIe-XIIe s. et de 1548 à 1722 sous la dynastie safavide). Les bassins du F rs, de même, ne l’ont attirée que de façon éphémère, à l’époque achéménide à Persépolis, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à Ch 稜r z (1 000 000 hab.) sous la dynastie Zand. L’extension considérable des villes du golfe Persique, Ahv z et b d n (respectivement 329 000 et 296 000 habitants à la veille de la guerre irano-irakienne, qui les a durement touchées), est due essentiellement à la conjoncture économique du XXe siècle et au développement de l’exploitation pétrolière. Au nord du désert, une autre ligne de villes suit la route qui longe le piedmont de l’Elbourz, par Zandj n, Qazv 稜n, Téhéran, Semnan, reliant les foyers urbains des bassins de l’Azerbaïdjan (Tabr 稜z, 1 100 000 hab.) à ceux du Khur s n (Machhad, 2 000 000 hab.). C’est là que se sont presque toujours fixées les capitales du pays, notamment sous l’influence des dynasties turques ou mongoles qui ont régné sur l’Iran depuis le Moyen Âge, ou de facteurs économiques et stratégiques, comme la liaison avec l’Europe dans les Temps modernes.Cités anciennes, urbanisme moderneLe site de ces villes, comme ceux des vieux villages iraniens, est lié aux ressources en eau. Il s’agit parfois de rivières (Ispahan, Ahv z), mais le plus souvent des agglomérations s’installent sur des glacis de piedmont et sont alimentées par qan t, puis par canaux d’écoulement par gravité à l’air libre, les djoub , inséparables de la rue persane traditionnelle. La maison de plan traditionnel comporte en général un corps de logis principal, qui donne sur une grande cour par une galerie à colonnes de bois, parfois enserrée entre deux ailes avançant légèrement. Il subsiste aussi une sorte d’habitat troglodytique, au moins partiel, sous forme d’un sous-sol à demi enterré, le zir zamin , grâce auquel les variations de température sont moins sensibles.La physionomie islamique traditionnelle de la cité, avec le quartier royal (arg ), le bazar à groupement corporatif, la grande mosquée, entourés par les quartiers de résidence au dessin désordonné et inorganique des rues et innombrables impasses, a été profondément modifiée depuis l’avènement de Riz sh h en 1926. Il a rénové les plans en découpant systématiquement et avec une grandiose indifférence la structure préexistante par de vastes percées. Ainsi furent créés un réseau radial convergeant vers le centre à Hamad n, de grandes avenues, raccordées à des boulevards périphériques, à Ch 稜r z, Tabr 稜z, au nord-est d’Ispahan, tandis que le vieux Téhéran était découpé par un quadrillage en damier. De nouveaux quartiers d’affaires ont été construits le long de ces avenues, sans ségrégation commerciale, tandis que des quartiers de résidence modernes, de style européen, se sont juxtaposés aux vieux centres et attirent progressivement les classes aisées. Seule, parmi les grandes villes iraniennes, b d n, corps artificiel créé autour de la raffinerie de pétrole de l’Anglo-Iranian Oil Company, possédait une structure différente. Aux quartiers résidentiels de villas de cadres et aux cités ouvrières, groupés autour de la raffinerie, se sont ajoutés des quartiers constitués spontanément (bazar d’Ahmad b d). D’aspect traditionnel, ils présentaient cependant un plan quadrillé systématique.La cadence de l’urbanisation, longtemps relativement lente, s’est accélérée seulement depuis un quart de siècle. Jusque vers la fin des années 1950, le développement des villes de province restait dû à la croissance interne plus qu’à l’immigration. L’absence à peu près complète de bidonvilles dans les cités iraniennes témoignait non seulement du vif attachement des Persans à un habitat stable mais aussi de la lenteur relative de l’urbanisation. Entre les recensements de 1956 et 1966, la population urbaine (agglomérations de plus de 5 000 hab.) passe de 31 p. 100 (chiffre déjà très élevé à l’époque pour un pays du niveau de développement de l’Iran et indiquant bien à quel point la vie urbaine ancienne et enracinée est un élément constituant de la civilisation iranienne) à 39 p. 100. Mais peu de cités dépassent pendant cette période l’accroissement de 40 p. 100 qu’on peut considérer comme dû exclusivement au croît interne. Ce sont essentiellement Téhéran, Machad, Ispahan, Ch 稜r z, Ahv z et Kirm nch h. Beaucoup de villes moyennes ou importantes (Hamad n, Racht, K ch n, Qum) sont à cette époque des foyers d’émigration vers Téhéran, et leur croissance est très inférieure à leur excédent démographique. Pendant la décennie 1966-1976, ces tendances se prolongent. La population urbaine monte à 47 p. 100 du total, mais ce développement reste essentiellement le fait du même petit nombre de grandes villes, Qum seule rejoignant le peloton de tête.Dans ce schéma d’ensemble, la guerre irano-irakienne et la guerre en Afghanistan ont introduit, au cours de la décennie de 1980, des perturbations considérables. Les villes du Kh zist n, b d n, Khorramchahr, Ahv z même, plus éloignée du front, ont été largement détruites ou abandonnées, et renaissent lentement. D’énormes quantités de réfugiés se sont installées dans les grands centres les plus proches, notamment à Ch 稜r z (848 000 hab. en 1986), ou Bandar ‘Abb s, sur le Golfe, passée de 88 000 habitants en 1976 à plus de 200 000 dès 1985. Dans le Khur san, l’extraordinaire croissance de Machhad, qui ne comptait que 667 000 habitants en 1976 et a plus que triplé depuis lors, s’explique par l’entassement des réfugiés afghans, qui ont constitué une ceinture de nouveaux quartiers, largement stabilisés aujourd’hui, autour de la ville.TéhéranLa capitale de l’Iran, où l’on trouve les caractéristiques générales précédentes, constitue ainsi à bien des égards un phénomène urbain exceptionnel, surtout par la cadence accélérée de sa croissance (210 000 hab. en 1922, 540 000 en 1939, 1 600 000 en 1956, 4 500 000 en 1976, 6 500 000 – 8 000 000 pour l’agglomération – au recensement de 1986, certainement plus de 10 000 000 pour celle-ci en 1993). Petite cité de 15 000 habitants lorsque Mu ムammad sh h, fondateur de la dynastie Q dj r, en fit sa capitale à la fin du XVIIIe siècle pour se rapprocher de sa tribu d’origine qui nomadisait dans le Gurg n et l’Elbourz, ainsi que pour affronter le danger russe déjà perceptible au Nord-Ouest, la ville, trop excentrique, n’assuma nettement les fonctions centralisatrices d’une capitale qu’avec la dynastie Pahlavi. C’est à cette époque que débute l’essor de la cité, qui conserve des marques évidentes de ces différentes époques. Sur un site classique de piedmont arrosé par canaux de gravité, les quartiers aisés se sont développés au Nord, sur les parties hautes du glacis, au pied de la montagne et au débouché des eaux, tandis qu’au Sud, vers le désert, les quartiers pauvres reçoivent des eaux rares et polluées. Ce contraste social se double partiellement d’un contraste ethnique, beaucoup d’immigrants récents dans les quartiers sud étant des ouvriers azéris (Turcs d’Azerbaïdjan) et kurdes. Cette dichotomie, qui domine toute la vie de l’agglomération, jouait à plein entre 1950 et 1975, les quartiers aisés du Nord ayant rejoint les anciens villages d’été du pied de l’Elbourz, devenus habitats permanents au milieu des jardins, et concentrant peu à peu les formes d’équipement supérieures et de nouveaux immeubles de bureaux, tandis que le bazar de la vieille ville au Sud déclinait lentement au milieu de quartiers en pleine déchéance. Parallèlement, de véritables bidonvilles se multipliaient dans ce secteur Sud. Dès les dernières années du régime Pahlavi, cependant, l’explosion de l’agglomération dans toutes les directions et le développement de nouveaux quartiers de classes moyennes de l’Est et à l’Ouest atténuaient quelque peu cette tendance, et on pouvait remarquer une certaine renaissance du centre traditionnel, dont l’emplacement valorisait la fonction de polarisation par rapport à un espace urbain considérablement étendu. La révolution islamique, en levant les interdictions de construction, s’est traduite par une prolifération anarchique d’habitats sommaires dans toutes les directions, tandis que l’afflux en provenance des campagnes n’a fait, semble-t-il, que s’accélérer. Les quartiers aisés du Nord et le Centre sont aujourd’hui le cœur d’une immense agglomération où dominent les banlieues non structurées.Le pétroleLes bases du développement contemporain de l’Iran ont été apportées par l’exploitation du pétrole, qui a commencé en 1908 à Masdjid-i-Sulaim n dans le Kh zist n. Le centre de gravité de la production s’est progressivement déplacé vers le sud-est, mais plus de 95 p. 100 du total est encore assuré par les gisements de cette province située sur le versant sud-ouest du Zagros, dans les «chaînons bordiers» qui émergent en lisière de la plaine mésopotamienne, et par les quelques gisements sous-marins qui prolongent ces structures sous les eaux du golfe Persique. D’autres petits gisements dispersés, notamment dans le centre et l’est du plateau, sont relativement négligeables, mais sont parfois associés à d’importants gisements de gaz. Les exportations, qui atteignaient déjà près de 10 Mt en 1939, s’étaient élevées à 31 Mt en 1950, sous l’égide de l’Anglo-Iranian Oil Company, puis, après la crise de la première nationalisation, à 80 Mt en 1964, et 189 Mt en 1971, sous le régime d’un consortium international. Après la récupération définitive de la propriété de ses gisements par l’Iran en 1973, la production a approché les 300 Mt en 1974 (année du maximum) et en 1976, et s’est maintenue à plus de 250 Mt jusqu’à la révolution islamique de 1979. La construction à b d n de la plus puissante raffinerie du monde (d’une capacité de 21 Mt); l’aménagement d’un premier port pétrolier de brut à Bandar Ch hp r, dans les alluvions du fond du Golfe; le transfert à partir de 1966 des exportations de brut dans l’île de Kh rg, à 40 kilomètres de la côte dans le Golfe, reliée aux gisements par un oléoduc sous-marin et où a été construit un terminal gigantesque en eau profonde, accessible aux plus gros navires, tandis que Bandar Ch hp r était cantonnée dans l’exportation des produits raffinés: telles ont été les principales étapes de la mise en place d’un puissant complexe qui faisait de l’Iran le deuxième pays exportateur de pétrole dans le monde au cours des années 1970, jusqu’à ce que la révolution islamique, à partir de 1979, puis la guerre irano-irakienne rabaissent le rythme annuel de production à moins de 100 millions de tonnes, chiffre plus compatible d’ailleurs avec l’état des réserves qui ne doivent pas dépasser 8 à 10 milliards de tonnes. Depuis la fin de la guerre, la production a été néanmoins relevée à une moyenne de 170 millions de tonnes par an.Les ressources financières apportées par l’exportation pétrolière, qui ont brusquement augmenté avec le quadruplement des prix en 1973-1974, ont été à la source d’un développement général qui était devenu particulièrement rapide aux derniers temps de la dynastie Pahlavi, bien que les premières bases en aient été édifiées dès les années 1930, sous le règne de Riz sh h. Mais l’utilisation directe du pétrole comme source d’énergie par l’économie nationale, en dehors de sa valeur commerciale d’exportation, est également devenue le point de départ de tout un développement industriel, grâce à un réseau d’oléoducs et de gazoducs qui, mis en place progressivement, à partir des gisements du Sud-Ouest, dans les années 1960, irrigue aujourd’hui toutes les grandes villes du pays et se prolonge jusqu’à la frontière transcaucasienne de l’ex-U.R.S.S. vers laquelle des exportations de gaz sont organisées.Industrialisation et développementL’industrie iranienne naissante s’est ainsi profondément transformée au cours des phases successives de son développement pendant le dernier demi-siècle. La politique d’industrialisation systématique amorcée par Riz sh h dans les années 1950 était centrée sur la dispersion, dans de nombreux secteurs du pays, d’industries d’État destinées à assurer autant que possible la consommation nationale pour un certain nombre de produits courants, alimentaires et textiles notamment. C’est ainsi que se sont constitués peu à peu tout un réseau de raffineries de sucre (Azerbaïdjan, Khur s n, F rs, région de Téhéran, etc.), une industrie textile très variée (filatures et tissages de coton, de laine, de soie, de jute) à Ispahan, Yazd et dans plusieurs villes de la frange littorale caspienne (S r 稜, Bechahr) et une gamme d’industries légères très diverses (tabac, allumettes, céramique, verrerie, conserveries); tandis que l’industrie privée, dans les années 1950, prenait largement le relais, en particulier dans l’industrie textile où elle égale approximativement l’industrie d’État. À partir des années 1960, le grand progrès de l’extraction pétrolière, l’apparition d’une production nationale de pétrole contrôlée par l’État iranien dès avant même la nationalisation du consortium et la mise en place du réseau de conduits intérieurs permettent l’apparition d’une industrie lourde et en favorisent la diffusion. C’est d’abord la pétrochimie, sur les gisements eux-mêmes ou à proximité (face="EU Upmacr" b d n, Ahv z), mais aussi dans des villes plus ou moins éloignées (usine d’engrais de Ch 稜r z alimentée en énergie par gazoduc). C’est la sidérurgie, à Ari chahr, aujourd’hui Khumeïni-Chahr (45 kilomètres au sud-ouest d’Ispahan), construite par les Soviétiques en échange de la fourniture de gaz, en activité depuis 1971 et considérablement agrandie en 1978, dont le fer provient des gisements de la région de Bafq, près de Yazd, et le charbon des mines de la région de Kirm n, à 600 kilomètres à l’est. Une installation plus modeste est établie à Ahv z, avec l’énergie fournie par le gisement pétrolier. La fin de l’époque Pahlavi, après la prodigieuse augmentation des ressources financières en 1974, voit éclore des projets gigantesques: nouveau complexe pétrochimique à Bandar Mach r; centrales nucléaires sur les rives du golfe Persique; raffinerie de cuivre à partir des gisements de la région de Kirm n; doublement de la sidérurgie d’Ispahan, portée à 4 Mt de capacité de production d’acier, etc. Parallèlement se poursuivait un développement accéléré de l’infrastructure. Les premiers équipements significatifs remontaient à l’époque de Riz sh h. Alors que les débuts de pénétration ferroviaire avaient été strictement périphériques et conçus en fonction d’intérêts étrangers (réseau de l’Inde britannique prolongé jusqu’à Zahed n au Baloutchistan; réseau russe juqu’à Tabr 稜z), le Transiranien, du golfe Persique à la Caspienne, construit entre 1927 et 1930 en surmontant de nombreuses difficultés techniques, avait constitué l’ossature d’un réseau national, qui s’est étendu dans les années 1950-1975 jusqu’à Machhad et Kirm n à l’est et jusqu’à la frontière turque à l’ouest, se raccordant ainsi au réseau européen autrement que par le réseau soviétique. Le développement des ports (Bandar Ch hp r [aujourd’hui Bandar Khomeyni], b d n et Khorramchahr, B ch 稜r et Bandar ‘Abb s sur le golfe Persique; Bandar Pahlavi [aujourd’hui Bandar Anzali] et Bandar Ch h [aujourd’hui Bandar Torkman] sur la Caspienne) restait cependant encore insuffisant à la fin des années 1970 pour absorber un trafic d’importation sans cesse croissant, et les délais d’attente se comptaient souvent en mois. Le niveau de vie, en effet, s’était accru très rapidement dans les dernières années du régime Pahlavi, et l’Iran, grâce aux recettes du pétrole, battait tous les records de croissance dans le Tiers Monde pour une puissance de ce niveau de population.La révolution islamique de 1979, la baisse considérable de la production pétrolière qui l’a suivie, la guerre irano-irakienne ensuite ont arrêté ou paralysé la quasi-totalité de ces projets. L’Iran, qui, au temps de la fabuleuse croissance des années postérieures à 1973, devait investir à l’étranger (usines Krupp en Allemagne, industrie nucléaire en France) des surplus financiers qu’il aurait pu difficilement absorber sur son propre sol, se retrouve très appauvri, dans une conjoncture politique difficile, avec une population qui reste en croissance rapide (33 600 000 hab. en 1976, 49 800 000 en 1986, soit une augmentation de près de 50 p. 100 entre ces deux dates avec un taux d’accroissement annuel moyen de plus de 3 p. 100; sans doute plus de 60 millions d’habitants à la fin de 1992). Les ressources importantes dont il dispose permettent néanmoins de prévoir, lorsque la situation sera assainie, un retour à un développement harmonieux.2. Évolution politique de l’Iran (XIXe-XXe siècle)La monarchie iranienneLa situation géographique de l’Iran entre le Proche-Orient et l’Inde d’une part, entre l’océan Indien et la Russie d’autre part a valu à ce pays, à partir de la fin du XVIIIe siècle – qui voit l’avènement de la dynastie des Q dj rs (1794-1925) et l’établissement de la capitale à Téhéran – d’être l’un des théâtres de la rivalité anglo-russe; les Russes souhaitaient, à travers l’Iran, atteindre le golfe Persique et l’océan Indien et tourner l’Empire ottoman, les Anglais entendaient protéger la route des Indes et interdire la réalisation des visées de l’empire tsariste. En outre, depuis 1795, des problèmes frontaliers opposaient la Russie à l’Iran: la Géorgie en était l’enjeu; en 1813, les Russes finirent par obtenir cette province ainsi que le Daghestan et, en 1828, par le traité de Torkamantchaï, les Iraniens durent aussi céder les districts arméniens d’Erevan et de Nakhitchevan. Par la suite, les Russes soutinrent à plusieurs reprises les Iraniens contre les Anglais, notamment à propos des affaires d’Afghanistan qui trouvèrent leur conclusion avec le traité anglo-iranien de 1857.La rivalité et l’influence des deux grandes puissances ne firent dès lors que s’amplifier; à tour de rôle, Anglais et Russes obtinrent des concessions extraordinaires qui mirent pratiquement entre leurs mains toutes les ressources de l’Iran; la plus spectaculaire fut le contrôle par les Anglais de la recherche et de l’exploitation des pétroles en Iran du Sud (1901) et la création de l’Anglo-Persian Oil Company (1909); à l’Imperial Bank of Persia (anglaise) s’opposait la Banque d’escompte de la Perse (russe); à cela s’ajoutaient la domination politique des Anglais sur le sud du pays, celle des Russes sur le Nord.Après avoir paru favorable à des réformes, N sir al-din sh h (1848-1896) se montra de plus en plus indifférent aux problèmes de ses sujets, accentua le caractère absolutiste de son pouvoir et laissa les puissances étrangères mettre la main sur l’économie du pays, attitude qui fut encore plus celle de son successeur, Mouzaffer al-din sh h (1896-1907). Cette politique provoqua le mécontentement des tenants des traditions religieuses et sociales, dont les oulémas étaient les chefs, et des partisans de réformes profondes, qui ne constituaient cependant qu’une minorité. La conjonction des mécontents aboutit à la révolution de 1906, dont le résultat fut l’instauration d’un régime parlementaire (oct. 1906) et la promulgation d’une Constitution (oct. 1907); mais le nouveau sh h, Mohammed ‘Ali, rétablit le régime absolutiste (juin 1908): des révoltes éclatèrent alors en de nombreux points du pays, particulièrement à Ispahan où le chef de l’importante tribu des Bakhtiy r 稜s conduisait le mouvement: le 13 juillet 1909 le sh h fut déposé et remplacé par son fils, Ahmed, âgé de douze ans, qui devait être le dernier souverain de la dynastie q dj r 稜 (1909-1925). Profitant de la situation politique trouble, Anglais, Russes et Allemands travaillèrent à accroître leur influence, notamment les Allemands, apparus à la fin du XIXe siècle et qui, avec les Turcs, essayèrent de s’imposer durant la Première Guerre mondiale; leur défaite en Occident entraîna leur échec en Iran, et le changement de régime en Russie laissa les mains libres aux Anglais.Le règne de Reza sh size=5hAu lendemain de la Première Guerre mondiale, la situation de l’Iran était proche de l’anarchie: dans le sud du pays, les Anglais avaient étendu leur contrôle et pensaient pouvoir imposer leur autorité au gouvernement de Téhéran grâce au traité du 9 août 1919 qui visait à instituer leur protectorat sur l’ensemble de l’Iran, en profitant du retrait des troupes soviétiques. Mais cette action anglaise se heurta à l’opposition des Persans, des Américains et des Français; les provinces d’Azerbaïdjan et du Ghilan se révoltèrent, et cette dernière se proclama même, en mai 1920, république soviétique du Ghilan. Finalement, le traité ne fut pas ratifié.Cependant les Anglais obtinrent que les officiers russes de la division «cosaque» cèdent la place à des officiers persans; il est probable qu’alors la diplomatie anglaise cherchait à instaurer en Perse un nouveau gouvernement, appuyé sur l’armée, et dont elle contrôlerait l’action, directement ou indirectement. De fait, de nombreux incidents éclatèrent dans la région de Téhéran au cours de l’automne et de l’hiver 1920-1921; des tentatives de complots eurent lieu, mais sans résultat, jusqu’à ce que l’une d’elles, dirigée par Sayyed Ziya ed-din et soutenue par le colonel Reza kh n, de la division «cosaque», réussisse à s’imposer à Téhéran le 20 février 1921 et prenne en main le pouvoir. Le sh h nomma aussitôt Sayyed Ziya ed-din Tabatabaï Premier ministre tandis que Reza kh n devenait ministre de la Guerre.Sayyed Ziya ed-din obtint le 26 février 1921 la conclusion d’un traité soviéto-persan, par lequel les Soviétiques renonçaient aux avantages acquis autrefois par les gouvernements tsaristes, mais en échange se voyaient accorder un droit d’intervention armée en Perse, au cas où leur sécurité serait menacée par une intervention étrangère dans ce pays, et l’interdiction pour les Persans de concéder à des étrangers autres que soviétiques des concessions pétrolières dans les cinq provinces du nord. D’autre part, Sayyed Ziya ed-din élimina du pouvoir un certain nombre de personnages importants et chercha aussitôt à restaurer l’autorité du gouvernement central. Mais sa politique heurtait trop d’intérêts en place et ne plaisait guère aux Britanniques. Trois mois après sa nomination, Sayyed Ziya ed-din dut donner sa démission et même quitter le pays. Le sh h confia alors la direction du gouvernement à Ghavam as-Saltaneh, ancien gouverneur du Khor s n, qui revint à une politique appuyée sur les groupes traditionnels et abandonna les projets de réforme de son prédécesseur. Cependant Reza kh n demeurait à la tête de l’armée et, dans la tâche primordiale de restauration de l’autorité gouvernementale, il joua un rôle prééminent. Des troupes furent envoyées pour éliminer les mouvements rebelles, les insurrections et les troubles en Azerbaïdjan, au Gh 稜l n, au Khor s n, et soumettre les Lours, les Qashqays, les Arabes du Sud. Les succès obtenus valurent à Reza kh n un grand prestige et une influence croissante, qui n’était pas sans faire penser à l’action de Mustafa Kemal dans la Turquie voisine: le 28 octobre 1923, Reza kh n fut nommé Premier ministre et le sh h quittait alors le pays pour voyager en Europe.Reza kh n est né en 1878 dans un petit village de montagne proche de la mer Caspienne; sa famille était de condition modeste et l’on ne sait rien sur sa jeunesse. Il entra dans la division «cosaque» vers 1900, servit à Téhéran, Hamadh n, Kerm nsh h, et participa aux combats de Téhéran en 1908 et 1911. En 1921, il avait le grade de colonel; il était réputé pour la fermeté de son caractère, son courage et son esprit de détermination. On a parfois prétendu qu’il avait été assez tôt «protégé» par les Anglais, le général Ironside d’abord, sir Percy Loraine ensuite; on n’a pas de preuves formelles de cette assertion.Comme l’avait fait Mustafa Kemal en Turquie, Reza kh n envisagea de proclamer la république en Perse en 1924; mais il se heurta à l’opposition des milieux traditionnels et conservateurs, en particulier des milieux religieux. Pour manifester son mécontentement et affirmer son prestige, Reza kh n résigna son pouvoir au début de 1925: il fut aussitôt rappelé par des démonstrations populaires, les démarches des militaires et d’un certain nombre de députés; en février 1925 il regagna Téhéran et obtint du Madjlis (Parlement) des pouvoirs quasi dictatoriaux par 93 voix contre 7. L’obstacle majeur au pouvoir suprême était la dynastie des Q dj rs: la monarchie était depuis longtemps le régime de la Perse et Reza kh n craignait un changement brutal de système de gouvernement. Le sh h ayant annoncé son retour en Iran et ses partisans s’agitant, Reza kh n prit les devants et obtint la déposition d’Ahmed sh h, son exil et celui des membres de la dynastie des Q dj r. Il fut nommé président du gouvernement provisoire le 31 octobre 1925 et se fit décerner la couronne royale le 12 décembre 1925; ainsi fut fondée la nouvelle dynastie des Pahlavi.Sous le règne de Reza sh h (12 déc. 1925-16 sept. 1941), l’Iran a subi des transformations profondes dans les domaines économique, administratif et culturel, mais en même temps le pays a été soumis à un étroit contrôle policier: bien que le régime parlementaire n’ait pas été supprimé, le Parlement n’eut pratiquement plus aucun rôle et, dans son désir d’affirmer l’autorité du gouvernement central, le sh h fut conduit à supprimer les libertés individuelles; il agit en fait comme un véritable dictateur, éliminant les opposants à sa politique, soit en les exilant, soit en les emprisonnant ou même en les faisant exécuter. Les chefs de tribu qui tentèrent de se dresser contre son pouvoir furent éliminés et remplacés par des officiers, souvent sans culture et sans pitié. La constitution d’une armée forte, aux cadres privilégiés, visait à contrôler les provinces, à assurer la fermeté du régime et à décourager toute attaque venant de l’extérieur. Les dépenses militaires, la création d’une infrastructure de communications nécessaire à l’armée, routes, voies ferrées, télégraphe, furent couvertes par les revenus tirés du pétrole. En même temps fut institué le service militaire obligatoire et l’obligation de l’usage de noms de famille, indispensables pour la conscription. C’est dans la même optique que furent développés les services médicaux et hospitaliers, l’instruction publique, par besoin d’hommes qualifiés, de techniciens, et fut mis sur pied un programme d’industrialisation. Mais il n’y eut pas de véritable programme national, pas de plan de mise en valeur du pays. Au contraire même, certains projets se révélèrent irréalisables par les seuls moyens iraniens et furent alors confiés à des Occidentaux qui trouvèrent là une possibilité de profits, sans aucune considération pour le développement économique de l’Iran. Cependant on ne peut nier que ces mesures aient contribué à déclencher un processus de modernisation du pays, qui s’est traduit par la création d’écoles et d’une université (1935), des efforts en vue de la libération de la femme (interdiction du port du voile, décrétée en 1935), la lutte contre les milieux religieux fanatiques, l’amélioration de la production agricole.Mais ces mesures entraînèrent des oppositions: des milieux religieux, des grands propriétaires fonciers, dont les impôts avaient été accrus (mais qui avaient répercuté ces augmentations sur les paysans), et qui avaient perdu leur rôle politique au bénéfice de l’armée, des paysans eux-mêmes qui se méfiaient de la conscription et voyaient d’un mauvais œil la mise en circulation de papier-monnaie à la place des monnaies d’or et d’argent (1932). Cependant Reza sh h conservait un grand prestige auprès des paysans. C’est le 31 décembre 1934 qu’un décret du sh h donna officiellement au pays le nom d’Iran à la place de celui de Perse, considéré comme symbole détestable du passé. Dès 1928 Reza sh h avait abrogé toutes les conventions accordant des privilèges et des capitulations aux puissances étrangères et avait récupéré certains revenus perçus jusqu’alors par des États ou des sociétés non iraniens. Pour améliorer les finances de l’Iran, il annonça en 1932 le retrait de toutes les concessions de l’Anglo-Persian Oil Company et, devant les menaces britanniques, porta l’affaire devant la Société des nations: finalement un accord fut conclu en 1933, par lequel les royalties versées au gouvernement iranien étaient accrues, tandis qu’était réduit le périmètre d’exploitation de l’A.P.O.C. (devenue plus tard l’A.I.O.C., Anglo-Iranian Oil Company); toutefois la compagnie voyait renouveler sa concession pour soixante ans. Vers la même époque, Reza sh h eut de nouvelles difficultés avec les Britanniques à propos de leur protectorat sur l’île de Bahrein dont il revendiquait la souveraineté: il n’obtint aucun succès.Avec l’Union soviétique, les relations furent relativement calmes: un traité de neutralité et de garanties réciproques fut signé le 1er octobre 1927 et une compagnie mixte irano-soviétique créée pour l’exploitation des pêcheries sur la côte méridionale de la mer Caspienne. Cependant le Parti communiste iranien, fondé en 1920, fut interdit en 1931 et, par la suite, des dirigeants communistes iraniens furent arrêtés et jugés, notamment au cours des procès de 1937.Cette attitude anticommuniste est à mettre en parallèle avec le rapprochement avec l’Allemagne hitlérienne, qui tint alors le premier rang dans les échanges extérieurs de l’Iran et envoya dans le pays de nombreux techniciens: en août 1941, on en comptait plus de 2 000. Les États-Unis n’avaient alors qu’une influence réduite; ils obtinrent néanmoins une concession d’exploitation pétrolière dans le nord-est de l’Iran.Avec ses voisins du Proche-Orient, Reza sh h entretint des relations amicales, concrétisées par la signature, en juillet 1937, du pacte de Saadabad avec l’Afghanistan, l’Irak et la Turquie, par lequel les quatre États se garantissaient mutuellement leurs frontières et s’engageaient à se défendre solidairement contre toute attaque dirigée contre l’un d’eux, et par la conclusion en 1939 du mariage du prince héritier Mohammed Reza avec la princesse Fawzia d’Égypte.Le règne de Mohammed RezaLorsque se déclencha la Seconde Guerre mondiale, l’Iran se déclara neutre et le demeura jusqu’à la fin du mois d’août 1941. L’attaque allemande contre l’Union soviétique, le 22 juin 1941, fit de l’Iran le lieu de jonction des Britanniques et des Soviétiques, pour une fois alliés dans ce pays contre un ennemi commun. En effet l’Iran était la voie la plus pratique pour faire parvenir des armes aux Soviétiques, et d’autre part les Britanniques tenaient à protéger les pétroles de l’A.I.O.C. et la route de l’Inde, menacés par l’avance allemande vers le Caucase.Dès juillet 1941, Britanniques et Soviétiques envoyèrent à Reza sh h une note diplomatique demandant l’expulsion des ressortissants allemands: devant le refus du sh h, les deux puissances alliées, avec l’appui des États-Unis, se déclarèrent alors contraintes d’intervenir militairement en Iran, sans pour autant vouloir porter atteinte à la souveraineté du sh h ni à l’intégrité territoriale du pays. Le 25 août 1941, les armées britanniques pénétraient dans le sud et l’ouest de l’Iran et s’installaient au Khouzistan et au Kurdistan, tandis que les armées soviétiques occupaient le Nord, notamment les provinces d’Azerbaïdjan et du Khor s n; le gouvernement iranien s’inclina devant le fait accompli, mais les alliés voulaient davantage: l’abdication du sh h dont ils n’appréciaient ni la politique présente ni la politique passée. Finalement, le 16 septembre 1941, Reza sh h abdiqua en faveur de son fils Mohammed Reza; il fut exilé à l’île Maurice, puis en Afrique du Sud où il mourut, à Johannesbourg, le 16 juillet 1944.Mohammed Reza accéda au trône iranien sans difficultés, aucune opposition n’ayant eu le temps de se manifester. Le nouveau souverain, né le 27 octobre 1919, avait fait des études en Suisse, et suivi les cours de l’École militaire de Téhéran, mais sans recevoir la moindre formation politique. Cependant, dès son arrivée au pouvoir, il distribua au peuple tous les biens fonciers hérités de son père, déclara vouloir l’amélioration du sort des paysans et des ouvriers; il fit arrêter les policiers agents du régime précédent, libéra et amnistia les condamnés politiques; la Constitution fut remise en vigueur, le Parlement se réunit et la presse, à nouveau libre, attaqua avec violence l’ancien sh h et dénonça ses excès. Toutefois cela n’empêchait pas la situation politique de l’Iran d’être soumise aux influences étrangères et les problèmes pétroliers de prendre une acuité nouvelle.Le 29 janvier 1942, malgré l’opposition de plusieurs députés, un traité d’alliance fut signé entre l’Iran, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique; ces deux dernières puissances s’engageaient notamment à défendre l’Iran contre toute agression, à sauvegarder et à respecter son intégrité territoriale et son indépendance politique, à évacuer leurs troupes du pays au plus tard six mois après la suspension des hostilités. C’est à Téhéran que se réunirent pour la première fois Roosevelt, Churchill et Staline, à la fin de novembre 1943.La guerre a pesé sur l’Iran: par le renchérissement du coût de la vie, par l’importance énorme acquise par l’A.I.O.C., par les difficultés nées de l’occupation britannique et soviétique, chacune des deux puissances s’efforçant d’accroître son influence, sans grand succès pour les Britanniques qui, appliquant le traité de 1942, retirèrent leurs troupes d’Iran avant le 2 mars 1946. En revanche, dans leur zone d’occupation, les Soviétiques avaient facilité la création de partis politiques favorables à leur cause, le parti Tudeh («la masse»), le Mouvement démocratique d’Azerbaïdjan et le Mouvement pour l’autonomie kurde, par l’intermédiaire desquels ils dirigeaient les provinces azéries et kurdes, interdisant toute intervention des autorités politiques et militaires iraniennes. À la fin de 1943 la compagnie Royal Dutch Shell et, en 1944, les compagnies américaines Socony Vacuum Oil et Sinclair Oil demandèrent au gouvernement iranien des concessions pétrolières: les négociations avançaient favorablement lorsque, à leur tour, les Soviétiques réclamèrent des concessions. Le gouvernement iranien décida alors de reporter à la fin des hostilités toute attribution de concession, ce qui déchaîna la fureur du gouvernement et de la presse soviétiques. Cela n’empêcha pas le Madjlis de voter, sur la proposition du Dr Mossadegh, une loi interdisant aux ministres de mener avec des États ou des compagnies étrangers des négociations sur l’octroi de concessions pétrolières: seules étaient permises des négociations sur l’exploitation et la vente du pétrole.À la fin de la guerre, les Soviétiques favorisèrent la formation de gouvernements autonomes en Azerbaïdjan et en Kurdistan iraniens (nov. 1945), empêchant toute intervention iranienne et refusant d’évacuer leurs troupes. L’Iran présenta un recours devant le Conseil de sécurité en janvier 1946 et entama des négociations avec l’U.R.S.S.; un accord fut conclu en avril: contre l’évacuation des troupes russes, l’Iran octroyait une concession pétrolière aux Soviétiques dans le nord du pays. Si les Soviétiques retirèrent bien leurs troupes en mai 1946, ils n’en continuèrent pas moins à exercer une pression politique et ce n’est qu’en décembre 1946 que les autorités iraniennes purent pénétrer en Azerbaïdjan.En octobre 1947, le Madjlis rejeta l’accord sur les pétroles conclu avec l’U.R.S.S. Quant aux Américains, de plus en plus présents en Iran, ils participèrent alors au développement des forces militaires et techniques, prenant ainsi la place des Allemands.La question du pétroleLe Premier ministre Ghavam as-Saltaneh, qui avait réussi à manœuvrer les Soviétiques, envisagea alors de réviser l’accord conclu en 1933 avec l’Anglo-Iranian ; mais son ministère tomba et ses successeurs firent traîner les négociations, puis conclurent en juin 1949 un nouvel accord avec l’A.I.O.C. Bien que l’Iran dût en tirer des profits accrus, cet accord rencontra au Parlement une violente opposition menée par le Dr Mossadegh. Le gouvernement du général Razmara entama des négociations secrètes avec l’A.I.O.C., mais le 7 mars 1951 il fut assassiné par un membre du groupe des Fedayan-é Islam («les Combattants de l’islam»). En avril 1951 le Parlement vota à l’unanimité la nationalisation de l’industrie pétrolière, et le 29 avril le Dr Mossadegh, chef du Front national et leader de la campagne pour la nationalisation, devint Premier ministre.Son programme portait sur l’exécution de la loi de nationalisation des pétroles et sur le remaniement des lois sur les élections législatives et municipales. L’A.I.O.C. ayant fait arrêter l’exploitation des puits, le gouvernement iranien voulut intervenir à Abadan, ce qui provoqua une plainte de l’A.I.O.C. et du gouvernement britannique devant la Cour internationale de La Haye (juin 1951). Le gouvernement iranien refusa de reconnaître la juridiction mais celle-ci, finalement, se déclara incompétente (juill. 1952). À la création de la Compagnie nationale des pétroles iraniens (oct.-nov. 1951) les Britanniques répondirent par le blocus du pétrole d’Iran. Tandis que l’affaire s’enlisait, au Madjlis l’opposition au Dr Mossadegh grandissait et la situation économique se dégradait; des désordres éclatèrent, et contre Mossadegh s’unirent les anticommunistes, les militaires, les grands propriétaires et les clients ou les partisans des Anglo-Saxons; à la suite de l’échec d’une tentative de la Garde impériale pour arrêter Mossadegh (16 août 1953), le sh h quitta l’Iran après avoir confié au général Zahedi le soin de diriger le gouvernement; le 19 août, Mossadegh et plusieurs de ses ministres furent arrêtés, la répression se déchaîna à Téhéran et en province: traduit devant la Cour martiale, le Dr Mossadegh fut condamné et emprisonné; le Dr Fatemi, ministre des Affaires étrangères, fut condamné à mort et fusillé, de même qu’une trentaine d’autres accusés.Le général Zahedi institua un gouvernement dictatorial et finalement conclut avec un consortium international un accord pour vingt-cinq ans sur l’exploitation des pétroles iraniens (sept. 1954) et reçut des États-unis un don exceptionnel de 45 millions de dollars. La tentative iranienne de contrôler son pétrole se soldait par un échec relatif; mais cet échec devait aussi servir de leçon. Par ailleurs, si la Grande-Bretagne conservait la majorité au sein du consortium, les Américains avaient désormais pénétré en force en Iran où ils prirent la relève des Britanniques. Jusqu’en 1965, le consortium domina à 95 p. 100 la production pétrolière de l’Iran; cependant le gouvernement, surtout à partir de 1958, octroya des concessions de recherche et d’exportation à d’autres sociétés étrangères, en coopération avec la C.N.P.I. En décembre 1966, il conclut avec le consortium un nouvel accord par lequel la C.N.P.I. récupérait un quart des territoires concédés et commercialisait elle-même une partie de la production du consortium. D’autres accords conclus en 1967 et 1969 accrurent les bénéfices du gouvernement iranien.La politique intérieureLe gouvernement du général Zahedi était un gouvernement de répression, qui exerça son action contre les membres du Front national et du parti Tudeh: des complots vrais ou faux permirent de sévir notamment contre ce dernier, qui fut interdit, et de confier les principaux postes de l’administration à des militaires dont la brutalité entraîna le mécontentement du peuple et même certains soulèvements, au point qu’en avril 1955 le sh h se sépara de Zahedi et désigna Huseyn Ala comme Premier ministre: lui-même prit une part plus active au gouvernement. Peu après, l’Iran adhéra au pacte de Bagdad (oct. 1955) dont faisaient également partie la Turquie, l’Irak, le Pakistan et la Grande-Bretagne (ce pacte est devenu le Cento: Central Treaty Organization en 1959, après le retrait de l’Irak; les États-Unis participaient aux commissions militaires et économiques du pacte, et conclurent avec les États membres des accords bilatéraux de coopération militaire et économique en mars 1959).Quoique les relations avec l’U.R.S.S. aient été peu cordiales depuis la chute du Dr Mossadegh, un accord fut cependant signé en décembre 1954, portant sur le règlement des dettes de guerre de l’U.R.S.S. envers l’Iran et sur la délimitation des frontières. Le sh h effectua un voyage officiel en U.R.S.S. en 1956.Le ministère Ala n’apporta pas beaucoup d’améliorations à la situation politique et économique, en dépit d’une aide financière considérable des États-Unis; le régime policier de répression était toujours en vigueur et le Premier ministre fut même victime d’un attentat en novembre 1955. Finalement, en avril 1957, Huseyn Ala fut remplacé par Manoutshehr Eghbal qui instaura une politique plus souple: suppression de la loi martiale, mise sur pied d’un régime à caractère démocratique. C’est alors qu’apparurent des partis politiques dont les principaux étaient le Mardom («le peuple») fondé en 1957, et le Melliyoun (Parti national) fondé en février 1958; par la suite, en 1963, a été créé le Iran Novin (Parti de l’Iran nouveau); les uns et les autres ne représentaient que les milieux des conservateurs, des bourgeois, des fonctionnaires et donnaient l’illusion d’un système bi-partisan; la corruption et le truquage des élections continuaient comme auparavant. En fait ces partis n’apparaissaient qu’en période d’élections pour donner une apparence de jeu démocratique entre le gouvernement et une prétendue opposition; en dehors de ces périodes, leur rôle au Parlement – comme d’ailleurs le rôle du Parlement lui-même – était réduit au minimum. Selon la Constitution de l’Iran, le pouvoir exécutif était aux mains du sh h, qui désignait le Premier ministre: celui-ci devait recevoir l’approbation du Parlement. Le Premier ministre constituait un cabinet dont les ministres étaient responsables devant le Parlement, qui pouvait être dissous par le sh h. Le pouvoir législatif appartenait au Sénat et à l’Assemblée nationale. Le Sénat, constitué pour la première fois en 1950, comprenait soixante sénateurs dont trente nommés par le sh h, et trente élus (15 pour Téhéran et 15 pour les provinces).L’Assemblée nationale (Madjlis, ou Parlement) comprenait deux cents députés élus pour quatre ans au suffrage universel (les femmes ont reçu le droit de vote et ont pu être élues à partir de 1963). L’Iran est divisé en quatorze provinces (ost n ) administrées chacune par un gouverneur général directement responsable devant le gouvernement central: le rôle des gouverneurs généraux est extrêmement important, car ils sont chargés de faire appliquer la politique du gouvernement et d’assurer l’ordre dans leur province.Les élections de juillet-août 1960 pour un Parlement de transition (deux ans) donnèrent lieu à des irrégularités telles que le sh h annula les élections; Eghbal démissionna et fut remplacé par Djafar Sharif Emami, chef du parti Melliyoun; aux élections de janvier 1961, ce parti obtint une large majorité, mais Emami eut à faire face à une opposition non parlementaire, qui contestait la régularité des élections, demandait une réforme de la loi électorale et réclamait la liberté d’expression pour tous. En mai 1961, les élections furent annulées et Ali Amini, chef de l’opposition parlementaire, devint Premier ministre avec les pleins pouvoirs. Il se lança dans la lutte contre la corruption, procéda à l’arrestation d’officiers compromis dans des actions de répression brutale, ouvrit une enquête sur les ressources de la presse (et en profita pour éliminer les journaux de l’opposition), annonça un programme de réforme agraire ; mais en même temps il fit arrêter et déporter dans le Sud des membres du Front national et maintint le Dr Mossadegh – qui aurait dû être libéré – en résidence surveillée.Des tentatives de réformeLe lancement de la «révolution blanche» en janvier 1962 avait été pour le sh h et son gouvernement un acte de modernisation destiné à améliorer le sort de la population rurale qui constituait la grande majorité des Iraniens; des lois promulguées par la suite visèrent à mettre en place des organismes d’aide aux paysans et l’on pouvait alors penser que l’Iran s’engageait dans la voie d’un progrès économique et social dont les premiers bénéficiaires seraient les paysans. Toutefois la réforme agraire avait fait aussi des mécontents parmi les grands propriétaires fonciers, laïcs et religieux. Surtout, les belles intentions n’avaient pas été suivies d’applications pratiques suffisantes, faute d’un personnel qualifié et d’une volonté de persévérance. Pourtant en 1964 le Premier ministre Hasan Ali Mansour fit voter une loi limitant les grands domaines, mais en janvier 1965 il fut tué au cours d’un attentat commis par les Fedayan-é Islam; un attentat manqué contre le sh h, en avril 1965, entraîna de sévères répressions contre les milieux de gauche et d’extrême gauche, mais elles s’exercèrent aussi contre les réactionnaires et contre les religieux, notamment contre l’ayatollah Khomeyni ; celui-ci était connu comme l’un des principaux chefs de la communauté sh 稜‘ite depuis 1944, date à laquelle il avait critiqué la tendance à la laïcisation du régime et ses orientations économiques; ses critiques étant devenues de plus en plus dures, et, son audience s’accroissant, il fut arrêté plusieurs fois puis condamné à l’exil; installé en Irak en 1965, il conduisit depuis ce pays sa lutte contre le régime du sh h.Le gouvernement iranien mena aussi une politique extérieure dynamique. La guerre israélo-arabe de 1967 avait mis en lumière les répercussions en Occident des événements du Proche-Orient, notamment en matière d’approvisionnement en pétrole; dans ces conditions, le sh h pensa pouvoir jouer un rôle déterminant dans la vie économique et politique du Proche-Orient et du monde occidental.Le IVe plan quinquennal présenté en 1968 par le Premier ministre Amir Abbas Hoveyda prévoyait l’augmentation de la production intérieure (57 p. 100 en cinq ans), la création de deux millions d’emplois, le développement de l’industrie lourde, des industries alimentaires, des voies de communication; l’éducation et la santé devaient être l’objet d’attributions de crédits substantielles, mais, en raison du contexte politique oriental, c’est l’armée qui reçut la meilleure part, son budget étant porté à 500 millions de dollars. L’essentiel des ressources financières devait être fourni par une augmentation constante de la production pétrolière : de fait, de 129 millions de tonnes en 1967, elle passa à 250 millions en 1972 et à 290 millions en 1973, les revenus correspondants passant de 750 millions de dollars en 1967 à 3 885 millions en 1973. De son côté, l’Union soviétique apporta une contribution importante à la construction de la voie ferrée Téhéran-Caspienne, signa un accord pétrolier et participa à la construction d’une vaste aciérie à Ispahan; d’autres complexes sidérurgiques furent construits, notamment à Ahw z. Les bons rapports avec l’Union soviétique furent aussi concrétisés par la construction du gazoduc transiranien qui permit la livraison aux Soviétiques de 17 millions de mètres cubes de gaz dès 1970.La volonté de puissance montrée par le sh h se manifesta sur le plan militaire par la constitution, avec l’aide des États-Unis, d’une armée sur-équipée qui devint rapidement l’une des premières du monde; elle lui permit d’affirmer les prétentions iraniennes dans la région du Golfe, vitale pour l’exportation du pétrole iranien; en même temps il établit des relations plus étroites avec l’Arabie Saoudite et le Koweit, un peu plus tard avec l’Égypte, tandis que les rapports avec l’Irak se détérioraient de façon sensible à cause du différend frontalier du Chatt al-Arab et du droit d’asile accordé par le gouvernement irakien à des opposants politiques iraniens; c’est seulement en mars 1975 que fut réglé le différend frontalier (accord d’Alger) et à cette occasion les deux gouvernements s’engagèrent à ne plus accorder de soutien à leurs opposants respectifs. L’Iran apporta son concours militaire au sultan d’Oman, aux prises avec une rébellion militaire dans le Dhofar.Le rapprochement avec les pays arabes parut un moment menacé lorsque les troupes iraniennes, le 30 novembre 1971, occupèrent trois îlots du golfe Persique (Abou Moussa, Grande Tomb et Petite Tomb), au large des côtes des Émirats arabes dont la GrandeBretagne s’était retirée peu auparavant; cette occupation fut l’un des épisodes de la politique pétrolière de l’Iran, marquée par la construction de plusieurs raffineries (en particulier celle d’Abadan, l’une des plus importantes du monde), par la mise en service en novembre 1972 de l’énorme terminal pétrolier de l’île de Kharg et par de nouveaux accords avec le consortium pétrolier international qui donnèrent à l’Iran un plus large contrôle de la production et de l’exploitation du pétrole. En mai 1973, toutes les installations du consortium devinrent la propriété de la Société nationale iranienne des pétroles (S.N.I.P., en anglais N.I.O.C.); l’exploitation de ces installations fut partagée entre la S.N.I.P. (51 p. 100) et le consortium (49 p. 100); la production devait être portée à 400 millions de tonnes en 1975 (elle n’atteindra en fait que 294 millions de tonnes) sur lesquelles la part de la S.N.I.P. devait être de 75 millions de tonnes.Planification erronée et démesureCependant la situation politique intérieure ne donne pas les mêmes satisfactions au gouvernement iranien; la contestation est vive parmi les intellectuels et les étudiants: une sévère répression s’abat sur eux et, à plusieurs reprises, l’université de Téhéran est fermée; des opposants sont arrêtés, passent en jugement de façon expéditive, voire illégale; la police politique (Savak) manifeste une activité grandissante: aux arrestations, procès et exécutions répond en avril 1971 l’assassinat du chef de la justice militaire; mais cette opposition n’est le fait que d’une fraction limitée de la population et la toute-puissance gouvernementale apparaît dans les résultats des élections aux assemblées départementales où le parti officiel, Iran Novin, remporte 97,5 p. 100 des sièges (sept. 1970), puis aux élections législatives où il gagne 239 sièges sur 280 (juill. 1971). Ces élections confortables permettent au sh h de célébrer avec un faste démesuré le 2500e anniversaire de la monarchie persane à Persépolis (oct. 1971), à l’occasion duquel l’ayatollah Khomeyni lance un appel à la désobéissance civile, appel qui reste alors sans grand écho. À cette époque, l’opposition est peu organisée, n’a pas de chef d’envergure, et sa lutte, très fragmentaire, n’est pas encore ressentie en profondeur par la population.L’année 1973 marque pour l’Iran le début d’une nouvelle politique pétrolière, mise davantage en valeur à la suite de la guerre israélo-égyptienne d’octobre 1973 et de l’utilisation par les pays arabes de l’«arme du pétrole», ce dont bénéficient les pays producteurs groupés au sein de l’O.P.E.P. qui, réunie à Téhéran à la fin de décembre 1973, fixe le prix du baril à 11,651 dollars, soit près de quatre fois son prix du mois d’octobre. À cette occasion, le sh h d’Iran déclare entretenir des relations réalistes avec l’Occident, notamment avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.).L’augmentation considérable des revenus attendue du relèvement du prix du pétrole doit permettre de lancer en Iran des projets d’investissements dont l’Occident peut tirer des bénéfices certains. Simultanément, la mise en route du Ve plan quinquennal, revu en hausse, vise à favoriser l’agriculture, les investissements à caractère social, la lutte contre les épidémies, et à assurer une croissance démographique raisonnable. Mais le gouvernement iranien lance aussi de vastes projets d’industrialisation dans le domaine pétrochimique, dans celui de l’énergie nucléaire et dans la construction de nouvelles raffineries de pétrole; sont également prévues la construction d’usines de montage d’automobiles et d’un métro à Téhéran, l’extension des voies ferrées et du réseau routier. Des contrats fabuleux sont passés, en 1974 et 1975, avec les États industrialisés, cependant que des millions de dollars sont consacrés à l’équipement de l’armée iranienne dont le sh h et les États-Unis veulent faire le «gendarme de l’Orient». L’abondance des pétrodollars donne au gouvernement iranien la possibilité d’acquérir 25 p. 100 du capital des usines Krupp (juill. 1974), une participation dans Eurodif et dans des sociétés industrielles diverses du monde occidental (janv.-avr. 1975).Dans l’euphorie de la richesse, le sh h et le gouvernement ne connaissent plus de bornes à la démesure; le succès économique fait passer au second plan les problèmes politiques internes, considérés comme mineurs: le développement du pays ne doit pas être mis en cause par une quelconque opposition, même parlementaire; aussi, en mars 1975, est institué le système du parti unique, le Rastakhiz («Parti du renouveau»), placé sous le contrôle étroit du sh h et du gouvernement. Les élections de juin 1975 ne sont qu’une formalité: le Parlement n’est qu’une chambre d’enregistrement, toutes les décisions émanant du sh h ou de son entourage et de quelques personnalités, parfois extérieures au gouvernement.Les dirigeants de l’Iran, obnubilés par leurs projets grandioses, négligent de plus en plus les problèmes immédiats, surtout les problèmes sociaux et humains; la nouvelle fortune de l’Iran profite à une minorité: chefs d’entreprise, banquiers, intermédiaires et gens bien placés auprès des responsables de l’économie iranienne. En même temps, une vague d’occidentalisation déferle sur le pays, une occidentalisation qui ne vise qu’à satisfaire des appétits matériels et nullement des besoins primordiaux et plus profonds; l’accaparement de la fortune par quelques privilégiés, malgré une augmentation incontestable du revenu moyen des Iraniens, la dilapidation des richesses dans des investissements trop nombreux, trop souvent mal adaptés, le renchérissement du coût de la vie, tout cela entraîne un mécontentement grandissant; il s’y ajoute l’exode de nombreux paysans vers les villes où ils espèrent trouver emploi et meilleures conditions d’existence, ce qui n’est pas toujours le cas: le résultat le plus tangible est un accroissement énorme de la population urbaine et le développement des bidonvilles, en particulier autour de Téhéran.La contestation s’affermitLe sh h et le gouvernement considérant comme inadmissible toute opposition à leur politique, il s’ensuit une activité grandissante de la Savak et une répression qui ne fait qu’accentuer la réaction des mouvements et des groupes contestant cette politique, tels les Moudjahidin-é Khalq, d’obédience islamo-progressiste, et les Fedayan-é Khalq, de tendance marxiste; les mouvements religieux opposés au sh h n’apparaissent pas encore au grand jour. Ces groupes se manifestent par des attentats contre les personnalités du régime, des attaques contre des banques, des tentatives de manifestation politique; la Savak les poursuit avec acharnement, et la plupart des procès engagés contre les «terroristes» se terminent par des condamnations à mort et des exécutions; la répression est dure, mais ne décourage nullement les opposants, qui recrutent leurs adhérents dans les milieux intellectuels et les milieux ouvriers. Les dirigeants d’anciens partis politiques (tel le Front national, de Mossadegh), Karim Sandjabi, Mehdi Bazarg n, Chahpour Bakhtiy r, Ahmad Sadr, Darius Forouhar, ont aussi à subir les rigueurs du régime et sont à plus d’une reprise mis en prison: ils contribuent à donner une plus grande audience à l’opposition, d’autant qu’ils participent à la création d’un comité pour la défense des libertés et des droits de l’homme.En août 1977, le remplacement, comme Premier ministre, d’Amir Abbas Hoveyda par Djamchid Amouzegar, spécialiste des problèmes du pétrole, témoigne de la volonté du sh h de renforcer encore davantage sa politique par l’accroissement des revenus pétroliers, et de son désir de confier la direction des affaires à un homme sûr, qui a été successivement ministre des Finances et ministre de l’Intérieur avant de devenir le chef du parti unique Rastakhiz. L’Iran commence à connaître des difficultés économiques et techniques: les vastes projets d’équipement requièrent un potentiel énergétique et des spécialistes que le pays est loin de posséder; aussi le sh h envisage-t-il de combler progressivement les lacunes énergétiques par la construction de centrales nucléaires commandées aux États-Unis, à la république fédérale d’Allemagne et à la France, cependant que le grand barrage sur le Karoun voit son achèvement retardé, mais c’est à des spécialistes étrangers qu’il est fait appel: les millions de dollars nécessaires seront fournis par les ventes de pétrole; cette politique se fait au détriment des équipements sociaux et de l’amélioration des conditions de vie, car l’augmentation du prix du pétrole se répercute sur les produits importés: on estime qu’en 1977 l’Iran a connu un taux d’inflation de 25 p. 100, ce dont souffrent les catégories les plus humbles de la population, alors que la corruption règne dans les milieux de la cour et des affaires.Cette situation favorise l’action des opposants au régime qui dénoncent les scandales financiers, la prévarication, la démesure des achats d’équipements militaires, l’échec de la politique économique et l’action répressive de la police politique. Les manifestations contestataires se multiplient de plus en plus ouvertement, certaines allant jusqu’à demander le départ du sh h et le changement de régime, d’autres exigeant surtout le rétablissement des libertés, l’abolition de la censure et la suppression de la Savak. Ces manifestations se déroulent dans toutes les principales villes et réunissent des participants appartenant à tous les milieux sociaux et culturels; à la répression sanglante par la police répondent des grèves et, pour la première fois, les commerçants du grand bazar de Téhéran (les bazaris, représentants de la moyenne et de la petite bourgeoisie, musulmans convaincus) s’y joignent pour protester à la fois contre la situation économique, les actions policières et la dégradation de la moralité: cet apparent amalgame est en fait la marque du poids grandissant des milieux religieux qui protestent contre la modernisation et l’occidentalisation effrénées du pays, contre la corruption, contre la part trop belle faite aux intérêts étrangers dans l’économie nationale; pour beaucoup d’opposants, le recours à l’islam sh 稜‘ite – qui, originellement et théoriquement, lutte pour la justice et contre l’autoritarisme du pouvoir – est un moyen d’attirer les masses et de donner une base plus large à la révolte contre le sh h, désigné de plus en plus comme le vrai responsable de la situation du pays.La fin du régime impérialDurant le premier semestre de 1978, de violentes émeutes éclatent dans diverses villes notamment à Tabriz, à Qom, à Mechhed, à Téhéran; elles reçoivent le soutien des autorités religieuses sh 稜‘ites (les ayatollahs, littéralement «signes de Dieu») et surtout du plus célèbre et du plus populaire, l’ayatollah Khomeyni qui, de Nadjaf, en Irak, lance de virulentes attaques contre le sh h, appelant la population à se révolter contre celui-ci, à le renverser et à établir en Iran un nouveau pouvoir dont les principes fondamentaux de l’islam constitueront la base. Bien que les chefs religieux sh 稜‘ites et les dirigeants des partis (illégaux) réformistes libéraux, progressistes ou marxistes ne conçoivent pas l’avenir de l’Iran de la même façon, ils unissent leurs forces pour renverser le régime impérial. De timides tentatives de libéralisation mises en œuvre par le gouvernement sont annulées par le drame d’Abadan (19 août 1978) où 377 personnes périssent dans l’incendie d’un cinéma, incendie peut-être d’origine criminelle et politique. Sur le plan extérieur, le sh h reçoit l’appui, outre celui des États-Unis, de l’Arabie Saoudite et de la Chine (Hua Guofeng se rend en visite à Téhéran en août 1978). À l’intérieur, le gouvernement est désormais dirigé par Djafar Charif-Emami, musulman pratiquant et technocrate tout dévoué au sh h; mais le nouveau ministère n’a pas de politique déterminée et répond aux manifestations par la loi martiale; l’opposition religieuse, le Front national et le parti Tudeh (communiste) déclenchent des grèves et de vastes mouvements de masses; la population, à l’appel de l’ayatollah Khomeyni, rend hommage aux centaines de victimes de la répression policière par des journées de deuil national; Khomeyni quitte l’Irak pour la France le 8 octobre 1978; de cette date jusqu’à son retour en Iran, le 1er février 1979, la petite ville de Neauphle-le-Château devient le quartier général de la lutte contre le régime impérial. Malgré la tentative de Chahpour Bakhtiy r, nommé Premier ministre à la fin de décembre, de promouvoir un régime à tendance social-démocrate et d’enrayer le processus de renversement du sh h, celui-ci perd les uns après les autres ses appuis intérieurs, à l’exception de l’armée, et ses appuis extérieurs, les États-Unis lui retirant leur caution. La situation du pays, qui ne cesse de se dégrader, évolue inexorablement, vers l’issue attendue: le 16 janvier 1979, le sh h, sa famille et quelques-uns de ses proches quittent l’Iran. Ce départ, accueilli avec enthousiasme par l’immense majorité de la population, crée un sérieux malaise politique, l’armée apportant son soutien au gouvernement Bakhtiy r et cherchant à empêcher la constitution d’un gouvernement «islamique», au besoin par la force. L’arrivée de l’ayatollah Khomeyni à Téhéran, le 1er février 1979, déclenche le processus ultime: investi spontanément de l’autorité sur le pays, le 5 février il désigne Mehdi Bazarg n comme Premier ministre; en dépit d’une dernière tentative de résistance de Chahpour Bakhtiy r et de l’armée, en quelques jours la victoire de l’ayatollah et de ses alliés est totale. Très vite, des comités de «khomeynistes» contrôlent étroitement la vie politique, tandis que des «tribunaux islamiques» commencent à juger et à faire exécuter de façon expéditive des personnalités civiles et militaires de l’ancien régime; l’ancien Premier ministre, Amir Abbas Hoveyda, est exécuté le 7 avril après un simulacre de procès.La République islamiqueUne phase d’adaptationLe 31 mars 1979, un référendum approuve à 98 p. 100 des votants l’institution de la République islamique, mais les abstentions ont été nombreuses parmi les Kurdes, les Turkmènes, les milieux de gauche et les classes moyennes. Le gouvernement de Mehdi Bazarg n doit faire face à de graves problèmes politiques: ralliement de l’armée, durement éprouvée par les exécutions, limitation des excès des tribunaux islamiques, dissensions parmi les triomphateurs car les partis de gauche, écartés du pouvoir, se méfient de l’intégrisme des milieux sh 稜‘ites, mouvements autonomistes en Azerbaïdjan, au Kurdistan, en pays turkmène et dans les régions arabes du Sud ou du Khouzistan. Les problèmes économiques ne sont pas moindres: remise en route des diverses activités, discussions serrées avec les ouvriers d’Abadan, fortement politisés, reconsidération des plans d’investissement et d’équipement. De nombreux contrats sont annulés, en particulier, ceux qui concernent l’énergie nucléaire. Les rapports avec les États-Unis sont tendus, les relations diplomatiques avec Israël rompues; en revanche, l’Organisation de libération de la Palestine est reconnue et Yasser Arafat reçoit à Téhéran un accueil enthousiaste. Le gouvernement iranien met fin à l’activité du consortium pétrolier international et entend gérer lui-même l’exploitation et l’exportation de son pétrole; en juin 1979 sont nationalisées les banques, les compagnies d’assurances et les principales sociétés industrielles.Cependant les milieux laïques s’inquiètent des excès des partisans du renouveau de l’islam qui imposent des mesures restrictives touchant certaines catégories d’individus, les femmes par exemple, ou certaines activités, notamment en cherchant à contrôler les principaux journaux. Au sein même des milieux religieux un clivage apparaît entre éléments intégristes, partisans de l’ayatollah Khomeyni, rassemblés dans le Parti de la République islamique dirigé par l’ayatollah Behecht 稜, et éléments progressistes qui suivent l’ayatollah Taleghani et sont proches des groupes de gauche tels les Moudjahidin-é Khalq et le Front national démocratique animé par le fils du Dr Mossadegh. Des attentats visant des religieux intégristes créent un climat tendu, aggravé par les revendications des ouvriers, conscients du rôle qu’ils ont joué dans la révolution, conscients aussi de la place qu’ils tiennent dans la vie économique du pays.En attendant qu’une nouvelle constitution soit élaborée, l’im m Khomeyni s’attache à détruire les structures du régime impérial pour construire une république totalement islamique en s’appuyant sur la grande majorité des chefs religieux sh 稜‘ites, sur les «gardiens de la révolution» (pasdaran , ou milice armée) et sur une grande partie de la population proprement iranienne, soit que celle-ci ait souffert du régime précédent, soit qu’elle ait participé à la lutte et aspiré à un nouvel ordre social et moral, soit encore qu’elle ne connaisse que les mots d’ordre des ayatollahs. Les partis modérés laïques ou religieux et les partisans de gauche pencheraient pour un régime démocratique, parlementaire et laïque, mais ils ne peuvent s’exprimer ou se taisent volontairement. Le gouvernement Bazarg n navigue à vue entre un pouvoir islamique inconditionnel et un réformisme prudent qui n’ose pas dire son nom, mais surtout il manque d’autorité face à l’im m Khomeyni, au Conseil de la révolution installé à Qom et à quelques groupes de pression comme les «étudiants islamiques», qui en fait décident de la politique générale et de ses applications pratiques, y compris les excès dans la répression. La mort soudaine de l’ayatollah Taleghani (sept. 1979) enlève aux modérés le leader qui pouvait tenter d’infléchir le régime; celui-ci a été conforté par les élections à l’Assemblée constituante où les représentants religieux favorables au Parti républicain islamique de Khomeyni emportent 75 p. 100 des sièges; il est vrai que les modérés, les partis de gauche et les dirigeants des minorités ethniques avaient appelé au boycottage de ces élections.La perspective d’une Constitution autoritaire et centralisatrice conduit les Kurdes à se rebeller: le pouvoir engage à fond l’armée contre eux (août-sept.) et se lance dans une violente campagne antiaméricaine, accentuée par le fait que le sh h se rend aux États-Unis pour se soigner (22 oct.), et dont l’aboutissement est, le 4 novembre, l’occupation de l’ambassade des États-Unis à Téhéran et la séquestration de soixante otages américains par des «étudiants islamiques», ces derniers demandant, en échange de la libération des otages, l’extradition et le procès du sh h. À Bazarg n démissionnaire, le Conseil de la révolution ne donne pas de successeur, cependant que le ministre des Affaires Étrangères, Bani Sadr, en désaccord avec les étudiants islamiques détenteurs des otages, doit céder la place à Sayyed Ghotbzadeh, qui, plus proche de Khomeyni, sera pourtant désavoué à plusieurs reprises. Au début de décembre, un référendum – auquel ne participent que la moitié des électeurs – approuve une constitution qui donne pratiquement les pleins pouvoirs à l’im m Khomeyni et ne fait aucune allusion à l’autonomie des régions allogènes, dont les populations ont d’ailleurs boycotté le référendum.Un voyage de Kurt Waldheim, secrétaire général de l’O.N.U., à Téhéran au début de janvier 1980 en vue de négocier la libération des otages n’aboutit à aucun résultat. Par ailleurs, le refus de toute discussion sur l’autonomie des régions provoque un soulèvement à Tabriz, capitale de l’Azerbaïdjan iranien, dont le leader, l’ayatollah Chariat Madari, prône une politique plus modérée et plus souple.Durcissement du régime et problèmes extérieursLa politique iranienne, suivie à ses débuts avec une certaine sympathie par les pays musulmans, surtout les plus progressistes, suscite ensuite, par ses excès et son intransigeance, des réserves quasi unanimes; par ailleurs, la situation économique, assez profondément bouleversée, pose des problèmes que le gouvernement ne peut ou ne veut pas résoudre, au nom d’un idéal religieux rejetant les contingences matérielles du monde moderne.En janvier 1980, Bani Sadr est élu président de la République par 75 p. 100 des votants, mais la réalité du pouvoir demeure entre les mains de l’im m Khomeyni; rapidement, Bani Sadr, qui est partisan de la séparation de la religion et de la politique, se trouve isolé; ses efforts pour résoudre le problème des otages américains, sa tendance au réformisme le marginalisent de plus en plus et le font classer parmi les «contre-révolutionnaires pro-occidentaux», alors qu’en revanche s’affirme l’importance politique de l’ayatollah Behechti, président de la Cour suprême, qui place ses fidèles aux postes clés du pouvoir. La situation économique s’aggrave tout comme la situation politique, en raison des jugements et des exécutions sommaires et de la guerre au Kurdistan où les pechmergas kurdes s’affrontent à l’armée régulière et aux pasdarans. L’échec de la tentative américaine en vue de libérer les otages (Tabas, 24-25 avr. 1980) renforce la position des intransigeants qui, aux élections législatives d’avril 1980, remportent une victoire écrasante. Cependant, la mort du sh h, à la fin du mois de juillet, relance les négociations indirectes avec les États-Unis, mais sans résultat immédiat.Estimant la situation favorable, le président irakien, Saddam Hussein, rompt le 17 septembre 1980 l’accord de 1975 et lance ses troupes à l’attaque de l’Iran (le 17 septembre) en vue de reconquérir les territoires cédés en 1975 et surtout de provoquer la chute du régime iranien dont la propagande antibaassiste en direction de la population sh 稜‘ite d’Irak (40 p. 100 de la population) peut constituer une menace. Cette propagande indispose également les États du Golfe et même l’Arabie Saoudite qui vont dès lors apporter leur soutien à l’Irak. L’avance des troupes irakiennes est rapide au début, mais est bientôt bloquée dans le Khouzistan: les pertes en hommes et les destructions sont considérables. La guerre a comme conséquence le rassemblement des Iraniens autour du régime de Khomeyni qui repousse toute tentative de médiation. En revanche, par l’intermédiaire des Algériens, les otages américains sont libérés le 20 janvier 1981.N’ayant pratiquement plus ni pouvoirs ni autorité, Bani Sadr, qui a essayé de redresser son image de marque et sa popularité en s’intéressant de près à la guerre irako-iranienne, est finalement destitué le 21 juin 1981: il réussit à échapper à ses adversaires et finit par trouver refuge en France en juillet, en compagnie de Mas’oud Radjavi, chef des Moudjahidin-é Khalq. À Téhéran, des attentats coûtent la vie à l’im m Behechti (28 juin), au nouveau président de la République Mohammed Ali Radjai et au Premier ministre Mohammed Jawad Bahonar (30 août) ainsi qu’à l’ayatollah Madani (11 sept.). Ces attentats entraînent de nouvelles vagues d’exécutions, notamment parmi les Moudjahidin-é Khalq. L’hodjatoleslam Ali Khamenei est élu président de la République (2 oct.) et Mir Hossein Moussavi devient Premier ministre.L’année 1982 est marquée, sur le plan intérieur, par plusieurs faits: la répression s’accentue contre la communauté bah ’i, contre les Moudjahidin-é Khalq, considérés comme les opposants les plus dangereux; Sayyed Ghotbzadeh est arrêté, sous prétexte de complot contre l’im m Khomeyni, condamné à mort et exécuté (15 sept.); ce prétendu complot permet aussi d’écarter l’ayatollah Chariat Madari, chef spirituel des Azéris, de tendance modérée; cette action manifeste la radicalisation du régime qui par ailleurs poursuit ses attentats contre les autonomistes kurdes.Sur le plan extérieur, l’armée iranienne prend l’offensive contre les Irakiens, qui se voient contraints d’abandonner les parties du territoire d’Iran qu’ils avaient occupées. La propagande antibaassiste des Iraniens ne reçoit pas d’écho en Irak où la population, y compris les sh 稜‘ites, se regroupe autour de Saddam Hussein. Cette propagande prend également un aspect anti-arabe et antisunnite par des manifestations de pèlerins iraniens à La Mecque et par des menaces lancées contre les émirats du Golfe.Poursuite de la guerre et rivalités internesLa guerre avec l’Irak conduit le gouvernement iranien à accentuer sa politique de répression à l’intérieur et à créer des rapports souvent tendus avec les pays qui soutiennent l’Irak et lui fournissent des armements: au premier rang figurent l’Union soviétique et la France. En Iran, le Parti communiste (Tudeh) fait l’objet de mesures draconiennes: mise hors la loi, arrestation et exécution de nombre de ses dirigeants, son secrétaire général, Noureddine Kianouri, doit faire des «aveux» sur un prétendu complot tendant à renverser le régime. Celui-ci est épaulé par les pasdarans (membres des comités islamiques) qui se renforcent et quadrillent le pays, exerçant sur celui-ci une pression policière qui souvent dégénère en terreur; on estime que, depuis le début de la République islamique, près de 5 000 personnes ont été exécutées, dont plus de la moitié après l’éviction de Bani Sadr.Les offensives iraniennes dans le secteur du Chatt al-Arab ne donnant pas les résultats escomptés, les Iraniens ouvrent un nouveau front dans le Kurdistan, à la frontière nord-est de l’Irak, spéculant sur un appui des Kurdes hostiles au gouvernement de Bagdad et sur la réussite d’une percée en direction de Kirkouk, centre de l’exploitation pétrolière d’Irak (oct. 1983). Simultanément, le gouvernement de Téhéran lance des avertissements à propos de la navigation dans le détroit d’Ormuz aux États arabes du Golfe, coupables de soutenir l’Irak, et Bagdad inaugure ce que l’on appellera «la guerre des villes», c’est-à-dire le bombardement aérien de villes à l’intérieur de l’Iran, y compris Téhéran et Ispahan, à quoi les Iraniens répondent en bombardant Bagdad et Bassorah. Par ailleurs, la livraison d’avions Super-Étendard par la France aux Irakiens entraîne une très vive tension entre Paris et Téhéran, qui se traduit par des expulsions réciproques de diplomates.Au début des années 1984, les Iraniens lancent de nouvelles offensives sur trois fronts: le Kurdistan, la région Amarah-Kurna et le secteur sud du Chatt al-Arab dans lequel les îles Madjnoun sont occupées et où Bassorah est directement menacée. Les élections législatives d’avril 1984 donnent d’autant plus la majorité au parti au pouvoir que l’opposition modérée, à la tête de laquelle se trouve alors Mehdi Bazarg n, boycotte ces élections; en fait, l’opposition, dans toutes ses composantes, est divisée et impuissante face aux structures du Parti de la République islamique, solidement installé dans le pays, mais qui connaît des rivalités internes marquées par des incidents divers: refus par le Madjlis de la confiance à plusieurs ministres (même si le Premier ministre, Mir Hossein Moussavi, est facilement reconduit dans ses fonctions), arrestations, répression contre ceux qui sont soupçonnés de ne pas respecter les règles islamiques. L’im m Khomeyni témoigne de son appui aux «radicaux» dans la conduite de la politique en donnant une délégation de pouvoir à l’ayatollah Hossein ‘Ali Montazeri, l’un de leurs chefs. À la fin de l’année 1985, Montazeri est officiellement confirmé comme successeur de Khomeyni, mais cela ne met pas fin à la lutte pour le pouvoir. En août 1985, Ali Khamenei est réélu président de la République par 85 p. 100 des votants (au lieu de 95 p. 100 en 1981) et le taux de participation n’est que de 60 p. 100, alors qu’il était de 80 p. 100 en 1981.La guerre avec l’Irak se poursuit avec tous les moyens possibles: attaques terrestres iraniennes dans le Kurdistan et dans le Chatt al-Arab, bombardements réciproques des grandes villes par avions et par missiles, attaques aériennes des Irakiens contre le terminal pétrolier de l’île de Kharg – ce qui entraîne une diminution sensible des exportations de pétrole iranien – et surtout utilisation d’armes chimiques par les Irakiens pour stopper les offensives iraniennes au nord et au sud. Une mission de l’O.N.U. recherchant un compromis pouvant mener à la paix aboutit à un échec complet.Décidé à porter au régime de Saddam Hussein des coups décisifs, le gouvernement iranien lance une attaque dans le Chatt al-Arab qui lui permet de s’emparer du port de Fao et une autre dans le Kurdistan irakien; lorsqu’en août 1986 Saddam Hussein propose l’ouverture de négociations, celles-ci sont totalement rejetées par les Iraniens, forts de leurs succès militaires, forts aussi des changements survenus dans leurs rapports avec certains États occidentaux: ainsi, les relations entre Paris et Téhéran s’améliorent, des négociations s’engagent sur le règlement du contentieux financier (remboursement par la France des fonds versés par le sh h pour la construction de la centrale nucléaire Eurodif) et surtout, en échange de l’expulsion de France de l’opposant iranien Mas’oud Radjavi, le 7 juin 1986, deux otages français du Liban sont libérés le 20 juin.En Iran, l’ayatollah Montazeri ne peut parvenir à imposer son autorité et tombe, ainsi que ses proches, dans une disgrâce qui profite à l’hodjatolislam Rafsandjani, président du Madjlis. Bien que l’im m Khomeyni ait à nouveau condamné tout rapprochement avec les États-Unis, on apprend, à la fin du mois de novembre, que des ventes secrètes d’armes américaines ont eu lieu, ce qui provoque aux États-Unis l’éclatement du scandale appelé «Irangate», et en Iran des critiques sévères contre Rafsandjani, accusé d’avoir cherché une amélioration des relations avec les Américains. À la suite du rejet par les Iraniens de l’appel à la paix lancé par le sommet des États islamiques, et en dépit de difficultés économiques croissantes, de nouvelles offensives ont lieu dans le Chatt al-Arab et le Kurdistan; la menace iranienne dans le Golfe se précisant, les grandes puissances y envoient des navires de guerre afin de protéger les pétroliers. Les tensions avec le monde arabe s’accentuent: à la suite de la découverte d’un «complot» islamiste en Tunisie, ce pays rompt les relations diplomatiques avec l’Iran (mars 1987) et, en juillet, des incidents provoqués à La Mecque par des pèlerins iraniens aboutissent à une répression sanglante où des centaines d’Iraniens trouvent la mort; l’attitude du gouvernement de Téhéran se durcit: attaques de pétroliers dans le Golfe, refus total de tout cessez-le-feu malgré les appels de l’O.N.U. en faveur de la paix; au sommet arabe de ‘Amm n, l’Iran est condamné. La seule amélioration notable apparaît dans les relations avec la France: à la fin de novembre 1987, deux otages français du Liban sont libérés en échange du libre départ pour l’Iran de Wahid Gordji, tenu par les Français pour un des acteurs, direct ou indirect, des attentats meurtriers de septembre 1986 à Paris. Au contraire, les relations s’enveniment avec les Britanniques et avec les Américains, et de graves incidents se produisent dans le Golfe.À Téhéran, les clans s’affrontent de plus en plus nettement: c’est la lutte pour le pouvoir entre «radicaux» de Montazeri et «modérés» de Rafsandjani. Les premiers veulent la poursuite de la guerre jusqu’à la défaite totale de Saddam Hussein qui représente à la fois le laïcisme, le nationalisme arabe et la compromission avec des gouvernements étrangers; les seconds, sans être ouvertement pour la paix, constatent la situation catastrophique de l’économie du pays et de la condition des habitants, notamment dans les villes où sévissent chômage et marché noir. En juin, le Parti de la république islamique, fondé en 1979, est dissous en raison des factions internes qui le déchirent; un peu plus tard, les proches de Montazeri font l’objet de poursuites, d’arrestations, et l’un des plus notables, Mehdi Hachemi, est même exécuté. Il semble alors que Rafsandjani l’emporte sur ses adversaires et qu’une certaine ouverture se fasse jour car des discussions sont engagées sur l’éventuelle participation aux élections du Mouvement de libération nationale de Mehdi Bazarg n. Mais le Conseil de surveillance de la Constitution, créé en 1980 et composé de personnalités hostiles à toute libéralisation du régime, représente un obstacle aux tentatives de réformes; pourtant, Khomeyni paraît soutenir les réformateurs lorsque, en février 1988, il institue au-dessus de ce Conseil un petit comité, le «Conseil de discernement», destiné, théoriquement, à limiter les pouvoirs de celui-ci: en fait, il s’agit du renforcement des pouvoirs personnels de l’im m car, parmi les membres de ce comité, figurent son propre fils et le chef de son secrétariat personnel; cette attitude n’échappe pas à Mehdi Bazarg n qui critique sévèrement cette accentuation de l’absolutisme et réclame l’arrêt de la guerre: le résultat en est l’arrestation de nombre de ses partisans.Le règlement du conflitAlors que les opérations militaires menées au début de l’année 1988 dans le Kurdistan sont favorables aux Iraniens avec la prise des villes de Halabja et de Khurmal, en revanche, dans le Sud, la contre-offensive irakienne aboutit en avril à la reconquête de Fao, en mai et juin à celle de Chalamcheh puis des îles Madjnoun. Rafsandjani, qui a été réélu président du Madjlis, est alors nommé commandant en chef des forces armées, mais celles-ci sont maintenant partout sur la défensive et doivent même abandonner le Kurdistan irakien.Finalement, le 18 juillet 1988, l’Iran accepte sans condition la résolution 598 du Conseil de sécurité de juillet 1987 exigeant l’arrêt des combats. Le 20 août, le cessez-le-feu entre en vigueur et des négociations doivent commencer peu après sous l’égide de l’O.N.U.; mais les problèmes demeurent: demande instante de Téhéran de voir l’Irak désigné comme l’agresseur, fixation de la frontière dans le Chatt al-Arab, échange des prisonniers. En novembre, les pourparlers sont interrompus.Les relations avec l’extérieurPendant ce temps, à Téhéran, la démission du Premier ministre Mir Hossein Moussavi est refusée, mais certains ministres de son cabinet sont très contestés par le Madjlis. Les rivalités internes sont fatales aux partisans de Montazeri, dont onze sont exécutés en novembre, ouvrant la voie à toute une vague d’exécutions politiques. À la fin de l’année, l’im m Khomeyni décrète la limitation des pouvoirs du Conseil de discernement qui, en certaines occasions, s’est permis de légiférer à la place du Parlement. Après la reprise des relations diplomatiques avec la France, les relations économiques paraissent être relancées, mais le ministre iranien des Affaires étrangères réclame la libération d’Anis Nakkache, compromis dans la tentative d’assassinat à Paris de l’ancien Premier ministre iranien Chahpour Bakhtiy r, et cette demande est mal reçue par le gouvernement français. Éprouvé par la guerre, mais paradoxalement peu endetté et disposant de revenus potentiels considérables avec le pétrole, l’Iran envisage un redémarrage rapide de son économie, en utilisant au besoin, directement ou indirectement, les techniques et les compétences de l’Occident dont certains États sont tout prêts à apporter leur concours très intéressé.Mais, le 15 février 1989, l’im m Khomeyni décrète un arrêt de mort à l’encontre de l’écrivain britannique Salman Rushdie, auteur d’un livre jugé blasphématoire à l’égard de la religion musulmane et du Prophète. Cet appel à l’assassinat, étendu à tous les éditeurs du livre, soulève l’indignation dans les pays occidentaux et entraîne le rappel des ambassadeurs des pays de la Communauté européenne à Téhéran, tandis que les Iraniens répondent par le rappel de leurs propres ambassadeurs. Cet événement illustre la volonté de l’im m d’apparaître comme le défenseur intransigeant de la religion, face aux dévoiements dus aux compromissions avec les pays occidentaux: défenseur unique, puisque les autres chefs musulmans n’ont pas du tout, ou guère, réagi à la publication du livre; défenseur motivé, puisque adepte du sh 稜‘isme, seule véritable expression de la religion musulmane; il s’agit pour l’im m, convaincu de détenir la vérité, non seulement d’être le combattant de l’islam, mais aussi de se faire reconnaître comme tel par tous, de rassembler les musulmans dans la lutte contre les perversions qui le menacent, qu’elles proviennent de l’extérieur ou de l’intérieur: impérialisme occidental, communisme soviétique, laïcisme, nationalisme arabe; et, dans cette lutte, le sh 稜‘isme doit être le fer de lance de l’islam, et plus spécialement le sh 稜‘isme iranien dont lui-même est l’im m, le guide.Cette attitude explique la rigueur nouvelle qui s’exerce vis-à-vis des opposants: Moudjahidin-é Khalq, membres du parti Tudeh, éléments dits «de gauche», dont on estime que plus de 2 500 ont été exécutés depuis la fin de la guerre, en dépit des appels à la modération de Montazeri, cependant que les partis, et spécialement le Mouvement de libération de l’Iran de Mehdi Bazarg n, sont étroitement surveillés, et que les mesures de libéralisation du régime annoncées sont reportées à des jours meilleurs, l’affaire Rushdie servant de prétexte à ce report. La même affaire est évoquée par les Iraniens à la Conférence islamique de Riy d en mars 1989, mais les pays arabes ne vont pas au-delà de la condamnation du livre.La dégradation, connue, de la santé de l’im m entraîne la rivalité de plus en plus manifeste des clans et des individus en prévision de l’élection à la présidence de la République islamique d’août 1989: aux «radicaux», partisans de la ligne dure conduits par Moussavi Khoeiniha, procureur général, Mir Hossein Moussavi, Premier ministre, et surtout par Ahmed Khomeyni, fils de l’im m, s’opposent les «pragmatistes» ou modérés menés par Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, président du Madjlis, et Ali Khamenei, président de la République (qui ne peut être réélu à ce poste). Rafsandjani est finalement désigné comme candidat par l’Association des religieux combattants, parti majoritaire au Madjlis. Presque simultanément est annoncée la destitution de l’ayatollah Montazeri de ses fonctions de successeur désigné de l’im m, car il est jugé trop libéral et trop critique de la conduite des affaires du pays (28 mars), et une épuration est menée parmi les proches de Rafsandjani. À la fin du mois d’avril est nommée une commission chargée de modifier la Constitution dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du président de la République et du Premier ministre, et de la réforme du Conseil de surveillance et du Conseil de discernement.Mais cette commission voit ses travaux interrompus par la mort de l’im m Khomeyni, le 3 juin 1989, des suites d’une opération. Le président de la République, Ali Khamenei est désigné, à titre provisoire, pour succéder à Khomeyni comme im m et guide, ce qui peut apparaître comme un compromis entre les tendances «dure» et «modérée». Le 5 juin, le testament de l’im m est rendu public: il y affirme la primauté du sh 稜‘isme dans le monde musulman et demande aux Iraniens de lutter pour le triomphe de leur religion, sans concessions ni aux musulmans des autres doctrines religieuses, ni aux «athées» des pays d’Islam, ni enfin aux dirigeants non musulmans des pays de l’Ouest comme de l’Est. Les obsèques de Khomeyni se déroulent le 6 juin au milieu du délire d’une marée humaine.La mort de l’im m ne résout rien: non seulement l’Iran se trouve dans une situation économique difficile (il dispose pourtant de ressources – dont le pétrole – et de potentialités considérables auxquelles les grandes puissances ne sont pas indifférentes) et les conditions de vie sont pénibles pour une grande partie de la population, mais surtout aucun système politique défini n’a été mis en place. Déjà apparaît au grand jour la confrontation entre les deux clans principaux, et si Rafsandjani a fait acte de candidature à l’élection présidentielle, en face de lui il n’y a pas, pour le moment, de candidat désigné: éventuellement, Ahmed Khomeyni pourrait être celui-là. À moins qu’une solution de force impose un «chef» qui hériterait des privilèges de l’im m défunt: la révolution de février 1979 n’est peut-être pas encore finie...3. L’Iran au présent: société, cultures et révolutionÉcologie d’une révolutionLa crise révolutionnaire des années 1978-1979 a tout d’abord consacré la faillite d’un système de développement. En vingt-cinq ans, depuis le coup d’État de 1953 rétablissant l’autorité du sh h , l’Iran a été le théâtre de mutations radicales affectant de proche en proche toutes les couches de la société. Pays trois fois grand comme la France, d’une superficie de 1 648 000 km2, l’Iran compte, lors du premier recensement national, en 1956, 19 millions d’habitants dont 69 p. 100 sont des ruraux; l’agriculture et l’élevage – le pays est le plus grand foyer mondial de pastoralisme nomade – occupent 56 p. 100 de la population active. En 1976, ces proportions sont inversées: 34 p. 100 seulement des actifs continuent de vivre de l’agro-pastoralisme, la population, de plus de 33 millions d’habitants, se répartit à peu près également entre les établissements ruraux et urbains (c’est-à-dire, selon les critères du recensement, comptant plus de 5 000 hab.); en dix ans, le taux de croissance des villes a atteint 61 p. 100. L’augmentation extraordinaire de la production et des revenus pétroliers (31 millions de tonnes en 1951, 294 millions en 1974) a été mise au service d’une politique de développement fondée sur une industrialisation rapide mais surtout sur une intégration accélérée de l’économie iranienne dans le marché mondial (recyclage de la rente pétrolière dans l’importation de produits de consommation, achat d’usines de montage clefs en main, établissement de sociétés mixtes, joint ventures , qui trouvaient là des conditions idéales de profit).Dans ce contexte de développement, des pans entiers de l’économie traditionnelle ont été bouleversés; l’agriculture – encore dominée par le féodalisme avant la réforme agraire de 1962 – a sans doute été favorisée par le transfert d’une partie importante des terres des grands propriétaires aux paysans, mais elle n’a été véritablement encouragée, dans les dernières années de l’ancien régime, que sur des périmètres restreints, là où prenaient corps de grands programmes de développement appuyés par des capitaux étrangers. La production agro-pastorale stagnant (sa part dans le revenu national passe de 22 à 11 p. 100 de 1968 à 1978), beaucoup de ruraux vinrent gonfler les quartiers pauvres des villes. Ces nouveaux citadins, souvent jeunes, alphabétisés et ambitieux, joueront un rôle décisif lors des émeutes révolutionnaires.L’artisanat et le petit négoce – le monde du b z r , ce secteur clef de l’économie urbaine traditionnelle en Orient – eurent également à pâtir des projets de développement grandioses mis en œuvre par le régime pahlavi: l’importation de produits fabriqués, l’augmentation rapide d’un commerce international qui leur échappait réduisirent considérablement la sphère et le volume de leurs activités. Ces b z ri , au mode de vie simple et frugal, pieux, rétifs aux tentatives d’occidentalisation imposées d’en haut, se regroupent traditionnellement dans des associations (professionnelles et de voisinage) à vocation religieuse, qui formeront, lors de la révolution, un réseau d’entraide et de soutien particulièrement efficace. C’est sans doute le clergé sh 稜‘ite (50 000 personnes environ, si l’on s’en tient aux «clercs», ruh ni , qui ont une formation poussée en théologie) qui vit se restreindre le plus sensiblement le champ de ses prérogatives pendant les décennies précédant la révolution: sécularisation accrue de l’enseignement et de la justice mais aussi aliénation – à la suite de la réforme agraire de 1962 – d’une grande partie des biens de mainmorte (vaqf ) qui assuraient à la majorité des clercs une autonomie financière et, partant, une certaine liberté idéologique. Les religieux, soudés par un puissant esprit de corps, ne forment cependant pas un bloc monolithique; on ne soulignera jamais assez la grande hétérogénéité sociale du clergé (du moll de village, complétant ses modestes revenus par un travail agricole, au grand yatoll h , littéralement: «signe miraculeux de Dieu», se consacrant à l’interprétation des textes religieux et à l’enseignement de la théologie) et la diversité de ses positions politiques (qui allaient, sous l’ancien régime, d’un quiétisme complaisant aux appels à la révolte et à la revendication du pouvoir).C’est dans la bourgeoisie d’affaires (une minorité d’anciens féodaux reconvertis dans les activités lucratives du commerce international) et parmi les nouvelles classes moyennes (cadres et employés des industries et des administrations), gagnées à l’occidentalisation, que le pouvoir impérial trouvait ses principaux soutiens. Cette dernière couche sociale, dont l’accroissement fut spectaculaire en quelques années (on comptait ainsi quelque 800 000 fonctionnaires en 1977), fut ébranlée dans son mode de vie puis dans ses convictions à la suite de la crise pétrolière des années 1974-1975 qui, freinant la croissance économique du pays, engendra une crise de la consommation. C’est dans ce contexte qu’une large fraction de ces couches moyennes se rallia au mouvement de protestation qui devait entraîner la chute du régime du sh h. Phénomène essentiellement urbain, la révolution sanctionna donc une crise générale de la société iranienne. L’unanimité pour revendiquer le changement recouvrait cependant des aspirations bien différentes selon les groupes sociaux; elle vola en éclats dès que fut renversé l’ordre ancien (févr. 1979), cédant le pas à un affrontement entre multiples tendances qui devaient être progressivement éliminées de la scène publique par une «ligne» dominante (khat-e em m : «la ligne de l’im m») durcissant, au fil des mois, ses positions, selon une pratique commune à la plupart des mouvements révolutionnaires.Mais ni les difficultés économiques et sociales ni l’oppression d’un régime doté d’une redoutable police politique, la Savak, et d’une des plus puissantes armées du monde ne peuvent expliquer à elles seules l’émergence de cette révolution. C’est aussi en termes culturels qu’il faut analyser l’origine mais surtout le déroulement et les conséquences des événements qui entraînèrent l’instauration de la République islamique.Bien que contrôlant presque tous les secteurs de la vie sociale (éducation, justice, information) et ayant institué un véritable culte de la personnalité du sh h, le régime impérial ne parvint jamais à susciter l’adhésion du peuple iranien et à asseoir culturellement sa légitimité. L’image et les emblèmes que les Pahlavi revendiquaient pour l’Iran ne correspondaient, en effet, en rien aux pratiques et aux coutumes de la majorité des habitants. L’appel à l’occidentalisation des modes de vie, prôné d’en haut, ne reçut d’écho favorable que parmi les couches privilégiées de la population urbaine; beaucoup dénonçaient, dans l’Iran impérial, cette aliénation culturelle sous les termes de «civilisation de la Peyk n» (voiture fabriquée à partir de pièces britanniques) ou encore d’«ouestoxication» (qarbzadegi , titre de l’ouvrage de J. al-Ahmad, paru dans les années 1960). Au vrai, deux cultures imperméables, juxtaposées et sans liens, coexistaient dans l’Iran prérévolutionnaire: l’une, pétrie d’occidentalité, s’affichait dans les quartiers chics des villes (à Téhéran, dans le nord de l’agglomération), l’autre, majoritaire, était stigmatisée, considérée comme un frein à la modernisation du pays. La révolution iranienne fut, y compris dans ses aspects les plus brutaux (épuration, islamisation des modes de vie, répression en matière de mœurs), une réponse à cette crise d’identité. La seconde facette de l’idéologie impériale – l’exaltation des origines aryennes, multimillénaires, de la monarchie et du peuple iraniens – ne séduisit, en dehors de l’opinion internationale, qu’une frange restreinte d’intellectuels; par ce biais, le pouvoir impérial visait à minimiser tout un pan de l’histoire et des traditions du pays (celles d’un Iran gagné progressivement à l’islamisation depuis la conquête arabe au milieu du VIIe siècle), en glorifiant les grandes civilisations indo-européennes qui s’épanouirent sous les empires mède (VIIe-VIe s. av. J.-C.), achéménide surtout (559-331 av. J.-C.), parthe (247 av. J.-C.-224 apr. J.-C.) ou encore sassanide (224-651 apr. J.-C.). Toute une série de manifestations et d’actes symboliques eurent pour but de renouveler l’ancrage de l’Iran dans ce grandiose passé et, partant, d’affirmer la singularité de l’histoire et du destin de cette nation par rapport aux pays arabes voisins. La dynastie fondée, en 1925, par le père de l’ex-sh h, Rez , prit le nom de pahlavi (par référence à la langue pehlevi , le «moyen perse», en usage sous les Parthes et les Sassanides, dans laquelle furent rédigés plusieurs textes de l’Avesta ); en 1935, le nom de Perse fut banni par le sh h de l’usage diplomatique et remplacé par celui d’Iran, «pays des aryens» (pehlevi: Ir n-Vej ); le dernier souverain se donna le titre de sh h-in-sh h , le «roi des rois», à l’instar des empereurs achéménides, puis celui d’Ary mehr (l’«amour-soleil des aryens»). On se rappelle aussi avec quel faste fut célébré, en 1971, le 2 500e «anniversaire» de l’empire, auquel participèrent un grand nombre de chefs d’État. Un calendrier impérial fut institué; les noms des nouvelles villes devaient témoigner de l’«aryanité» de la nation, telle Ary sh hr («la ville aryenne») construite autour de l’immense aciérie implantée avec l’aide des Soviétiques à proximité d’Ispahan.Pour la plupart des Iraniens, ces rêves d’aryanité, cette exaltation du passé pré-islamique demeuraient largement inintelligibles, en marge de leur culture et de leurs connaissances. À l’inverse, l’islam – symbolisant, tout autant qu’une religion, un mode de vie et un ensemble d’habitudes culturelles – demeurait, pour de très larges fractions de la population, un pôle d’identification et de reconnaissance. Dans l’Iran pré-révolutionnaire, le prestige des leaders religieux se fondait tout autant, du reste, sur le contenu de leurs prônes que sur leur mode de vie – simple et sobre – à l’image de celui des petits b z ri des villes. La puissance mobilisatrice de l’islam lors des événements révolutionnaires ne s’est cependant pas limitée à cette capacité conjoncturelle à symboliser une identité menacée. Un ensemble de traditions propres au sh 稜‘isme duodécimain – le courant musulman dominant en Iran – a lourdement pesé sur l’inflexion des événements qui entraînèrent l’instauration de la République islamique. Parmi ces traditions, deux doivent particulièrement retenir l’attention: le principe de l’em mat et l’exaltation du martyrisme.Selon les dogmes du sh 稜‘isme (de l’arabe sh 稜‘a : «parti» de ‘Ali) duodécimain, seuls les douze em m (‘Ali, gendre et cousin du prophète Mohammad, et ses descendants) ont pu exercer un pouvoir juste et légitime; les onze premiers em m ont tous péri dans des circonstances tragiques; quant au douzième, Mohammad, il a disparu en 874 et son «occultation» (qeybat ) dure encore. Dans l’attente de la parousie de cet «im m caché» (em m-e q ‘eb ), toute forme de gouvernement est nécessairement imparfaite. Les croyants doivent se conformer, pour guider leurs actes et leurs décisions, aux avis des ‘olam reconnus les plus justes et les plus compétents et qui sont considérés comme des «sources d’imitation» (marja’-e taqlid ). Quant au problème posé par la vacance du pouvoir légitime, il a fait l’objet, depuis l’institution du sh 稜‘isme comme religion d’État, au début du XVIe siècle, d’interprétations et d’attitudes divergentes, voire contradictoires, selon les périodes, les dynasties, les écoles théologiques ou encore selon les différentes tendances du clergé. Les premiers souverains de la grande dynastie safavide (1501-1722) légitimèrent leur pouvoir en se prétendant les descendants de la lignée im mite fondatrice du sh 稜‘isme ou encore en se plaçant sous la tutelle d’un théologien considéré comme le «lieutenant de l’em m». Tous les monarques qui leur succédèrent – à l’exception de N der sh h (1736-1746) – cherchèrent une caution religieuse à l’exercice de leur pouvoir en s’entourant d’‘olam et en prenant une part active dans l’organisation des rituels religieux. Cette caution religieuse fut d’autant plus recherchée par les souverains, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, que les mouvements de contestation islamique se développaient dans le pays en réponse à la mainmise étrangère sur l’économie iranienne. Même le dernier sh h, qui dénonçait pourtant la «réaction noire» et mettait en œuvre une politique de laïcisation, avait sa propre «coterie» d’‘olam qui cautionnait le pouvoir impérial. Du côté des clercs, en effet, il n’y eut jamais unanimité sur la conduite politique à préconiser en l’absence de l’em m caché. Pour certains – hier comme aujourd’hui –, la vacance du pouvoir des em m doit inciter à une certaine indifférence à l’égard de la vie politique, au refuge dans la spiritualité, les clercs devant se cantonner dans des activités proprement religieuses; pour d’autres – au premier rang desquels, dans la période pré-révolutionnaire, Khomeyni lui-même –, le dogme de l’em mat impose le devoir de contester les tenants d’un pouvoir illégitime pour les remplacer «par des hommes supérieurs matérialisant la religion et étant des modèles». Se fondant sur cette conception «offensive» de l’em mat, Khomeyni et ses partisans ont prôné un gouvernement dirigé par les clercs – ce qui est une innovation dans le sh 稜‘isme duodécimain – dont, en l’absence de l’em m caché, le théologien le plus juste et le plus vertueux doit être le guide. La Constitution de la République islamique a entériné cette interprétation de l’em mat en institutionnalisant le vel yat-e faqih (la «souveraineté du docte»): «En l’absence de l’em m du temps – que Dieu approche sa réapparition – dans la République islamique de l’Iran, la gestion et la “guidance” de la communauté sont confiées à un docteur du dogme juste, vertueux, conscient de son temps, courageux, qui possède l’autorité et l’expérience, accepté comme guide (em m) par la majorité du peuple.» Les prérogatives de ce guide – définies dans le 5e et le 110e principes de la Constitution – sont considérables (commandement des forces armées, révocation du président de la République, etc.). Cette conception maximaliste de la souveraineté du docte a été un point majeur de litige au sein des appareils dirigeants depuis l’instauration du régime islamique. Plusieurs grands yatoll h se sont, en effet, opposés à cette forme de théocratie constitutionnelle (c’est, entre autres, pour avoir contesté cette innovation dogmatique que le grand yatoll h Shari’at-Mad ri fut «révoqué» en 1982). Étroitement tributaires de la personnalité charismatique et des théories de Khomeyni, le prestige et les prérogatives du vel yat-e faqih ont été sensiblement restreints en 1989 quand disparaissait celui qui avait promu une telle conception du pouvoir: des amendements constitutionnels ont renforcé les attributions du président de la République; le nouvel em m, l’hojat-ol-esl m Ali Khamene’i, a été désigné dans des conditions équivoques et au prix de subtils artifices (il ne possède pas les qualifications religieuses requises, mais bénéficie cependant depuis sa désignation du titre honorifique d’ yatoll h...).L’exaltation du martyre (shah dat ) est un autre trait original du sh 稜‘isme duodécimain; elle trouve son origine dans l’«histoiremythe» de la passion du troisième em m des sh 稜‘ites, Hoseyn, tué dans des circonstances atroces par les troupes du calife omayyade Yazid, en 680, à Karbal (dans l’actuel Irak). La commémoration du supplice du «prince des martyrs» (seyyed al-shohad ) s’exprime à travers des rituels dolorisants qui atteignent leur paroxysme le 10 moharram (premier mois du calendrier musulman), jour de ‘ shur (anniversaire de la mort de Hoseyn): processions de pénitents se flagellant avec les paumes des mains, des chaînes ou encore se meurtrissant le cuir chevelu avec une épée ou un sabre, prônes, cantiques et «mystères» commémorant le drame de Karbal . L’observance de ces rituels de deuil et d’affliction – qui évoquent ou reproduisent le supplice de Hoseyn – est, pour les croyants, un moyen d’obtenir l’intercession du prince des martyrs et d’accéder ainsi, le jour de leur mort, au «jardin» (paradis). Cette tradition martyriste et les rituels qui lui correspondent, véritable ciment de la culture populaire, ont constitué l’armature symbolique et organisationnelle des événements révolutionnaires. Le mythe de Karbal – opposant les bourreaux aux victimes, exaltant le sacrifice de soi – a été tout à la fois une grille de lecture de la réalité socio-politique et un modèle d’action pour la lutte: dans les discours des leaders religieux, comme dans les slogans des manifestants, les protagonistes du «drame» révolutionnaire étaient identifiés à ceux du drame de Karbal (le sh h à Yazid, les martyrs à Hoseyn...). On se souvient que, le «vendredi noir» (8 septembre 1978), des jeunes gens présentèrent leur poitrine nue aux balles des militaires, se sacrifiant à l’image de Hoseyn. Notons enfin que les grandes manifestations qui entraînèrent le départ du sh h épousèrent la forme et le rythme des processions rituelles traditionnelles (organisation, posture des participants, rythme des pas et des slogans); elles culminèrent au mois de moharram (nov.-déc. 1978).Depuis l’instauration de la République islamique, le martyrisme demeure une puissante arme de mobilisation et de légitimation. Est-il besoin de préciser que seuls sont reconnus martyrs ceux qui sont tombés pour la «bonne cause»? On met une égale insistance à les glorifier qu’à fustiger, condamner, supplicier ceux que l’on considère, selon les expressions coraniques, comme des «corrupteurs de la terre» ou des «idolâtres». Le langage révolutionnaire demeure pétri de références au martyre, au drame de Karbal : «Chaque jour est ‘ shur et chaque lieu est Karbal », dit un slogan officiel. L’actuel em m, Ali Khamene‘i, qui fut blessé lors d’un attentat, est appelé shahid-e zande («martyr vivant»); dans chaque métropole régionale sont organisées des expositions des martyrs rassemblant photos, objets personnels et témoignages divers; une puissante Fondation des martyrs a été instituée, distribuant des logements, de l’argent, des faveurs aux familles des victimes des émeutes révolutionnaires ou de la guerre contre l’Irak. Pendant cette guerre (1980-1988), les autorités ont fait fond sur cette sensibilité martyriste pour appeler à la mobilisation et multiplié les références au drame de Karbal (le chef de l’État irakien était identifié à Yazid).Au vrai, on ne peut comprendre cette révolution si on néglige les traditions culturelles et religieuses qui en formèrent l’armature et servirent à légitimer l’instauration du nouveau pouvoir.L’Iran aujourd’hui: problèmes conjoncturels et complexité d’un héritageLe régime islamique doit aujourd’hui affronter d’énormes difficultés, conséquences directes, pour les unes, de la révolution elle-même, inhérentes, pour les autres, à la configuration particulière d’un pays qui, malgré une longue histoire nationale et impériale, demeure une mosaïque de sociétés et de cultures.Crise économique, terreur et révolution culturelleLe régime islamique bute d’abord sur d’énormes difficultés économiques, conséquences de la destruction et de la désorganisation des appareils de production, de la fuite des capitaux, des cerveaux, des techniciens mais aussi, dans les premières années de la révolution, d’un rejet idéologique de l’«économisme» et d’une absence de planification efficace. Ces problèmes ont été aggravés par la longue guerre contre l’Irak, qui a absorbé annuellement de 20 à 30 p. 100 du budget de l’État, a entraîné la mort d’environ un demi-million d’Iraniens, a ruiné des villes et des installations industrielles: les évaluations du coût de la reconstruction du pays varient entre 100 et 500 milliards de dollars.Si la production pétrolière demeure la principale ressource de l’État, son niveau (165 millions de tonnes en 1992) est fort loin de celui qu’elle atteignait à la veille de la révolution (261 millions de tonnes en 1978). Le rationnement des denrées de base, le développement parallèle d’un marché «libre» mieux fourni mais aux prix dix fois plus élevés, l’inflation (30 p. 100 par an sur le marché officiel, au moins 100 p. 100 sur le marché «libre»), le chômage, touchant 25 p. 100 de la population active, le maintien à un bas niveau des rémunérations des salariés ont entraîné un appauvrissement considérable de presque toutes les catégories sociales. Dans les villes, c’est la course aux denrées de base, aux petits travaux, aux emplois secondaires, aux spéculations à petite ou grande échelle...Alors qu’une des idées-forces du mouvement révolutionnaire était la restauration de l’indépendance et de l’autosuffisance économiques, notamment dans le domaine agricole, l’Iran islamique doit importer de nombreux produits de première nécessité: entre 1979 et 1984, les achats à l’étranger de blé et de fromage ont été multipliés par trois, ceux d’orge, de riz, d’huile végétale, de viande rouge, de volaille, d’œufs, multipliés par deux. Ces importations massives se sont encore accrues depuis la fin de la guerre contre l’Irak; leur volume global a doublé entre 1990 et 1992. On trouve certes une multitude de denrées dans les commerces des grandes villes, mais à des prix inaccessibles pour le plus grand nombre. La paupérisation et les difficultés quotidiennes ont engendré une profonde vague de mécontentement. Des émeutes ont ainsi éclaté à Téhéran (en novembre 1988) puis se sont multipliées en mai et juin 1992 (à Mashhad notamment, la grande métropole du nord-est du pays). Ces problèmes économiques sont encore accrus par une très forte croissance démographique: l’Iran comptait 41 millions d’habitants en 1982 et 60 millions en 1992, dont 60 p. 100 de moins de vingt ans. Pour freiner cette évolution, le gouvernement a lancé en 1988 une campagne de limitation des naissances. La population a également augmenté sous l’effet des migrations des réfugiés (Kurdes venus d’Irak, mais surtout quelque 2 millions d’Afghans): on compte aujourd’hui environ 2 500 000 étrangers sur le sol iranien.Plusieurs traits ont singularisé d’emblée l’économie révolutionnaire: l’interventionnisme de l’État (nationalisation des banques, de secteurs entiers de l’activité industrielle et, en partie, du commerce extérieur) et le rôle important des «fondations» para-étatiques (tel le Bonyad-e mostaz’afin : «fondation des déshérités», immense entreprise gérant les biens confisqués aux idolâtres, t quti , pour venir en aide aux familles les plus pauvres); l’aide aux petites entreprises artisanales dans un souci de revalorisation des unités traditionnelles de travail et de sociabilité; le soutien aux exploitations et aux projets agricoles de dimension moyenne; l’appel au bénévolat pour le développement avec l’institution du Jah d-e s zandegi (guerre sainte pour la reconstruction) qui a joué un rôle efficace dans les campagnes iraniennes: réfection des systèmes d’adduction d’eau, électrification, construction d’écoles; le contrôle social de la production et de la distribution: mise en place de conseils islamiques dans les entreprises, distribution des denrées rationnées de première nécessité dans les mosquées.Ces initiatives, si spectaculaires soient-elles, n’ont cependant pas modifié en profondeur la structure de la société. Ainsi, la réforme agraire, projetée dès le début de la révolution et débattue des années durant, n’a pas véritablement abouti; la loi de 1986 rappelle le caractère sacré de la propriété privée en islam, n’impose aucune limite à la taille des domaines, ne prévoit la redistribution foncière que dans quelques cas particuliers: terres confisquées à des «collaborateurs» de l’ancien régime, à des émigrés qui ne sont pas venus réclamer leur bien; elle entérine, par ailleurs, les quelques confiscations et redistributions effectuées par les organisations révolutionnaires au tout début des années 1980. Dans ce domaine comme dans les autres, les réformes de structure ont été bloquées, différées ou amendées en raison des conflits très vifs entre les différentes tendances qui s’affrontent au sein du régime, à travers des centres de décision (gouvernement, parlement, «conseil de surveillance», chargé de vérifier la constitutionnalité des lois et leur conformité aux règles islamiques...) d’obédience souvent opposée; en l’occurrence, les «radicaux» étaient favorables à une réforme agraire de grande ampleur, les dignitaires, membres du conseil de surveillance, s’opposaient à toute atteinte à la propriété privée. Autre facteur de blocages dans l’Iran islamique, l’ankylose bureaucratique qui s’est progressivement substituée à l’activisme révolutionnaire (la plupart des organisations «bénévoles» ont été intégrées dans les structures de l’État).Avec l’élection d’Ali Hashemi-Rafsandjani à la présidence de la République (28 juillet 1989), consacrant la victoire des «pragmatiques» sur les «radicaux», une nouvelle orientation a certes été donnée à la politique économique, s’affichant désormais plus libérale et ouverte aux investissements occidentaux. «On ne construit pas un barrage avec des slogans», déclarait le nouveau président lors de sa prestation de serment. Il formait quelques jours après un gouvernement de technocrates d’où étaient évincés les leaders radicaux partisans de changements en profondeur (tels l’ancien Premier ministre Mir Hoseyn Mousavi et l’ancien ministre de l’Intérieur Ali Akbar Mohtashemi). La politique active de privatisations mise en œuvre s’est cependant heurtée à l’opposition du Parlement et l’appel aux investissements étrangers à la dégradation, depuis 1988, de la cote de crédit de l’Iran sur le plan international. Les partenaires financiers de la République islamique (essentiellement l’Allemagne et le Japon) hésitent désormais à concéder des prêts à un pays dont la dette s’aggrave rapidement. À la veille de l’élection présidentielle de juin 1993, force est de constater l’échec du pari de redressement économique dans un contexte paralysant de luttes entre «libéraux» et «radicaux», tendances opposées que symbolisent, plus ou moins, les deux principales figures du régime, le président Rafsandjani et l’em m Khameneï.Tout autant que les difficultés économiques, la restriction des libertés, la répression, la terreur, l’épuration systématique ont largement entamé l’assise sociale du régime. Plusieurs vagues d’exécutions massives (6 000 au moins de 1979 à 1983, 5 000 encore de 1988 à 1991) ont scandé la première décennie révolutionnaire, soit en réponse à des offensives armées contre le régime (celles des Moj hedin , Fed ’in , etc.), soit pour éliminer des opposants (libéraux laïques, démocrates, communistes) coupables d’«occidentalite» et accusés éventuellement de complot (le «complotisme», réel ou imaginaire, est un des ressorts de la vie politique iranienne), soit encore pour purifier les mœurs (nombreuses exécutions d’individus accusés de trafic de drogue). La répression est d’autant plus intransigeante qu’elle repose sur une certitude dogmatique qu’entérinent des institutions (les tribunaux islamiques) et des verdicts religieux. En raison du caractère même du régime, toute contestation peut être assimilée à une révolte contre la volonté divine et appelle donc souvent, avant le châtiment, un repentir public: «Le gouvernement islamique signifie l’obéissance à la Loi; la soumission aux responsables du gouvernement ou em ms est également un ordre de Dieu», écrivait Khomeyni dans son ouvrage Hokumat-e esl mi (Le Gouvernement islamique ). Ce mécanisme de «diabolisation» des adversaires a atteint un de ses points culminants avec l’«affaire Rushdie» (février 1989) quand l’em m Khomeyni publia un fatv (décret religieux) enjoignant d’assassiner l’écrivain blasphémateur.La révolution islamique a également engagé un processus de transformation radicale des modes de vie, des manières d’être et de penser en vogue sous l’ancien régime; tous les aspects de la vie quotidienne ont fait l’objet d’une redéfinition, d’une mise en ordre disciplinaire. L’«islamisation» s’étend au premier chef aux institutions chargées de former les générations nouvelles: refonte de l’enseignement, épuration du corps des instituteurs et des professeurs, contrôle vigilant des programmes des disciplines universitaires sensibles (droit, économie, histoire, sociologie). C’est une véritable révolution culturelle (enqel b-e farhangi ) qui s’est mise en place, faisant table rase du passé récent, imposant des normes contraignantes aussi bien dans le domaine des connaissances et de l’art que dans celui de la vie quotidienne (vêtement notamment). Ce projet disciplinaire islamique se heurte à l’extrême complexité sociale, ethnique et régionale d’un État dont aucun pouvoir, jusqu’à présent, n’a pu réduire l’hétérogénéité culturelle. Dans un registre opposé – celui de l’islam mode de vie –, le régime actuel risque de courir au même échec que le pouvoir pahlavi – qui prétendait imposer l’occidentalisation. Indice de ces obstacles sur le chemin d’une islamisation radicale, la double vie que mène une partie de la population citadine, respectant scrupuleusement, à l’extérieur, les attitudes imposées (y compris un air grave, marque d’une ferveur authentique), renouant, à l’abri des murs, avec des aspects facétieux de la culture persane ou avec des œuvres occidentales (le marché des vidéocassettes est particulièrement florissant à Téhéran).Une mosaïque de culturesLa diversité culturelle de l’Iran tient tout à la fois à la juxtaposition de milieux géographiques très contrastés (terres humides et palustres du littoral caspien, plateau aride ponctué d’oasis, grandes cuvettes désertiques du Dasht-e Kavir et du Dasht-e Lut, chaîne montagneuse du Zagros...) et à une histoire faite d’invasions successives qui ont inégalement marqué les différentes régions du pays. La pénétration progressive, aux IIe et Ier millénaires avant J.-C., de nomades aryens, venus de steppes froides et cultivables d’Asie intérieure, sur le plateau iranien a fixé lesgrands traits de l’utilisation du sol en Perse: un genre de vie à dominante sédentaire, agricole, avec de courts déplacements pastoraux à l’intérieur des vallées. C’est de ce genre de vie que participe encore aujourd’hui la majorité des populations du Lorest n et du Kurdist n, par exemple. À ces invasions, l’Iran doit aussi le substrat de sa langue, le persan, langue indo-européenne, à laquelle se rattachent la plupart des dialectes parlés dans le pays. Si la conquête arabe, au VIIe siècle, a considérablement modifié les modes de vie et les habitudes culturelles (religion, vie et schémas urbains, arts et formes d’expression: adoption, entre autres, des caractères arabes pour écrire le persan), elle n’a pas pour autant bouleversé les formes traditionnelles d’occupation de l’espace. En revanche, les invasions turques au XIe siècle, aboutissant à la création de l’empire seldjoukide, et mongoles au XIIIe siècle, sous l’impulsion de Gengis Kh n, entraînant la domination des Il-Khanides, ont eu de profondes répercussions sur le genre de vie des populations montagnardes de l’Iran: «bédouinisation», pour reprendre l’expression de Xavier de Planhol, de communautés à dominante sédentaire, formation de grandes confédérations tribales hiérarchisées, affirmant leur autonomie et revendiquant le pouvoir (la plupart des dynasties iraniennes depuis le XVIe siècle ont été d’origine tribale); parallèlement, ces invasions entraînèrent la «turquisation» linguistique d’un certain nombre de régions iraniennes.Le panorama ethno-linguistique de l’Iran contemporain porte l’empreinte de cette histoire complexe, des contrastes entre les régions et des forts particularismes qui en découlent. Un peu moins de la moitié des Iraniens ont le persan (f rsi ) pour langue maternelle (cette langue est cependant comprise et parlée par une grande partie de la population). La plus importante minorité ethno-linguistique est formée par les Turcs d’ zarb yj n (à peu près 17 p. 100 de la population totale); d’autres groupes turcophones – souvent des tribus nomades – sont dispersés dans différentes régions du pays: Qashq i et fractions de la confédération Khamse dans le F rs, Afsh r dans la province de Kerm n, Turkmènes dans les steppes à l’est de la mer Caspienne... Au total, les turcophones représentent environ 25 p. 100 de la population iranienne mais ils parlent souvent des langues fort éloignées excluant l’intercompréhension. Les groupes ethniques dont la langue s’apparente à la famille des parlers iraniens forment des minorités aux particularismes plus ou moins accusés; citons, parmi les principaux: les Kurdes (environ 5 millions d’individus) peuplant les régions montagneuses des provinces (ost n ) de l’ zarb yj n occidental, du Kurdist n, de Kermansh h et de l’Ilam, dans l’ouest du pays (on trouve également des isolats kurdes dans l’Alborz, au nord, et dans le Khor s n, à l’est du pays); les Lor et les Bakhty ri (que l’on peut estimer respectivement à 3 millions et demi et à 500 000 individus) pratiquant, quand ils ne sont pas sédentarisés, un nomadisme «vertical» qui les mène du piémont aux pâturages sommitaux du Zagros; les Baloutches (environ un million) occupant un milieu particulièrement défavorable dans le sud-est de l’Iran et formant quelques isolats dans le Khor s n; les Gil ni, T leshi, M zandar ni des deux provinces caspiennes, très densément peuplées (le Gil n et le M zandar n regroupent quelque 6 millions d’habitants), au climat humide et au paysage verdoyant, véritables greniers à riz de l’Iran... Ces minorités iraniennes représenteraient environ 30 p. 100 de la population du pays. La physionomie culturelle de l’Iran apparaît encore plus bigarrée si l’on tient compte de la présence d’une forte minorité arabophone (environ 1,5 million de personnes dans le Khuzest n) et de la diversité des affiliations religieuses: si la grande majorité (85 p. 100 environ) de la population est d’obédience sh 稜‘ite, plusieurs groupes ethniques sont partiellement ou totalement sunnites: Kurdes, T leshi, Turkmènes, Baloutches, Arabes. Quant aux minorités non musulmanes, elles sont quantitativement négligeables et concentrées pour l’essentiel dans les villes; dans la Constitution de la République islamique, seules sont «reconnues» et «libres d’accomplir leurs rites religieux» les minorités zoroastrienne (environ 40 000 fidèles), israélite (entre 70 000 et 100 000 avant la révolution, 20 000 au moins auraient fui depuis), chrétienne (plus de 200 000, en grande majorité des Arméniens), à l’exclusion des bah ’i (persécutés, vivant leur foi clandestinement et donc difficiles à évaluer: les estimations varient entre cinquante mille et cinq cent mille.Faut-il dire pour autant, au regard de ces données, que la population iranienne est composée en majorité de minorités? En fait, si tous ces groupes sont soucieux de conserver leur identité, leur intégration dans l’État iranien est ancrée dans une longue histoire impériale qui s’est construite au-dessus des ethnies. Par ailleurs, les disparités culturelles entre régions et «nationalités» se sont sensiblement réduites depuis le début du siècle sous les effets conjugués de la modernisation et des régimes autoritaires (empire pahlavi, République islamique).Témoignage de cette intégration relative, les crises qui ont récemment déstabilisé l’Iran (révolution, agression irakienne) n’ont pas entraîné une explosion de nationalismes, alors même que la position périphérique, sur le territoire du pays, des ethnies minoritaires peut faciliter les mouvements sécessionistes. Lors des événements révolutionnaires, les Kurdes, les Turcs zeri, les Turkmènes, les Arabes du Khuzest n, les Baloutches ont sans doute revendiqué directement la reconnaissance de leurs droits politiques et culturels. Mais ces luttes pour l’autonomie n’ont pris une véritable ampleur et la forme de combats armés durables qu’au Kurdistan où les revendications étaient tout autant politiques (laïcisme démocratique) qu’ethniques; le mouvement s’est, au demeurant, essoufflé depuis 1985 sous le poids de la répression et de la guerre; il a été, de surcroît, dramatiquement amputé de son principal leader, A.-R. Ghasemlou, assassiné en Autriche le 13 juillet 1989. Quant aux Arabes du Khuzest n, que l’envahisseur irakien pensait pouvoir rallier à sa cause au nom de la solidarité ethnique, ils ont témoigné d’une parfaite loyauté à l’égard de l’Iran lors de la longue guerre dont leur territoire a été le théâtre. Face à ces diverses minorités, les régimes pahlavi et islamique ont tous deux poursuivi une politique d’assimilation mais selon des modalités bien différentes: pour le sh h, la langue persane était le vecteur principal de l’unification du peuple iranien; depuis l’instauration de la République islamique, c’est la religion et, de façon plus extensive, un mode de vie sh 稜‘ite urbain qui s’accommode, en revanche, de la diversité linguistique du pays.Ni sur le plan économique ni sur le plan politique, la révolution islamique n’est parvenue aux objectifs qu’elle s’était fixés. Les ambitions d’autosuffisance, de développement de formes originales de production et de distribution (la mise en œuvre d’une «économie islamique») tout comme la volonté d’amélioration des conditions de vie ont été démenties par les faits. On considère que le revenu des familles a diminué de moitié depuis 1977. Symptôme de cet échec, les gouvernants invitent régulièrement les cadres exilés à revenir au pays. Le modèle politique de la République islamique n’a pas connu non plus les succès qu’espéraient les uns et qui effrayaient les autres. Cette crainte d’un déferlement d’une «vague islamiste» fut un des motifs de l’aide massive qu’apportèrent plusieurs puissances à Saddam Hussein lors de la guerre Irak-Iran, et l’on put mesurer par la suite, lors de la crise du Golfe en 1990-1991, les paradoxes d’une telle attitude fondée sur de mauvaises évaluations. Au bout du compte, la force mobilisatrice de la révolution, qui était étroitement liée à la personnalité charismatique de Khomeyni, s’est essoufflée à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Iran, où le «néo-fondamentalisme», plus piétiste qu’activiste, un certain renouveau de l’arabisme, diverses formes d’«islamo-nationalisme» supplantent l’islamisme révolutionnaire à l’iranienne. Ce reflux n’exclut pas le soutien toujours actif de l’Iran à des causes lointaines (aide militaire au régime intégriste du Soudan, tentative de livraison d’armes aux musulmans de Bosnie, etc.), mais il a surtout entraîné, à la faveur de la dislocation de l’Union soviétique, la recherche de nouvelles zones d’échanges et d’influences dans un espace d’une grande proximité culturelle et géographique, l’Asie centrale. La politique de Téhéran vise à développer des liens économiques et idéologiques avec ces nouveaux États, tout comme avec l’Afghanistan, donc à renouer avec des pays attachés à l’Iran par de nombreuses parentés (historiques, linguistiques, religieuses).N’étant parvenu ni au redressement économique (malgré les efforts des «pragmatiques») ni à l’exportation de la révolution (malgré l’activisme ostentatoire ou souterrain des «radicaux», notamment au Liban), le régime islamique maintient, voire renforce, son intransigeance dans le seul domaine où il peut encore imposer ses conceptions: l’orthodoxie culturelle. Les dénonciations du tah jom-e farhangi-ye qarb («l’invasion culturelle occidentale»), les incitations à réprimer les comportements vestimentaires impies (mèche de cheveux dépassant du foulard...), les rappels du fatv condamnant à mort Salman Rushdie n’émanent pas seulement des plus «radicaux» ou des plus «conservateurs», mais aussi périodiquement des «pragmatiques» qui doivent donner des gages de leur ferveur révolutionnaire.Malgré un contexte difficile, l’Iran conserve cependant intacts les atouts qui l’appellent à s’affirmer comme la grande puissance de la région: une population nombreuse et dotée d’un honorable niveau d’instruction, des ressources énergétiques, agricoles et industrielles diversifiées, des frontières stables qui ne sont pas remises en cause par des revendications ethniques, une situation géostratégique clé à la charnière entre le Proche-Orient arabe et l’Asie centrale, région sur laquelle l’Iran, en raison de son histoire, peut exercer une forte attraction. Mais, de l’intérieur, le présent est au pessimisme: on est loin aujourd’hui de l’enthousiasme populaire des années 1978 et 1979, moment fugace de leur histoire où les Iraniens abdiquèrent «cet air déprimé dès l’enfance par l’habitude de ne rien espérer» qu’évoque un écrivain persan.Iran(république islamique d') état d'Asie occidentale, à l'O. de l'Afghanistan et du Pakistan, au S. du Turkménistan, à l'E. de l'Irak; 1 648 000 km2; env. 67 millions d'hab. (croissance: 3,4 % par an); cap. Téhéran. Nature de l'état: rép. islamique. Langue off.: persan. Monnaie: rial iranien. Population: Persans (env. 50 %), Azéris (24 %), Kurdes (8 %), plus. minorités arabophones. Relig. off.: islam chiite (84 %). Géogr. phys. et hum. - L'Iran est un haut plateau (800 à 1 500 m), ponctué de dépressions désertiques, bordé au N. par la chaîne de l'Elbourz (5 671 m) et à l'O. par celles du Zagros et du Baloutchistan. Le climat continental aride (steppes et déserts) n'est un peu plus arrosé que dans la bordure caspienne et sur les hauteurs. Ces régions et leur piémont concentrent la pop. L'explosion démographique s'accompagne de l'urbanisation (54 % de citadins). écon. - La guerre contre l'Irak (1980-1988) a ruiné l'Ouest et le Sud; le tremblement de terre de 1990 a ravagé le Nord. L'agriculture emploie 30 % des actifs et couvre 70 % des besoins: blé, orge, riz, palmier dattier; plantes industrielles: betterave, canne à sucre, coton, tabac. L'élevage ovin itinérant constitue l'activité princ. des régions sèches. Les ressources du sous-sol représentent la grande richesse du pays: 9 % des réserves mondiales de pétrole, 12 % des réserves de gaz; en outre: charbon, fer, cuivre et plomb. Seules sa prod. et l'exportation de pétrole ont été restaurées après 1988. La reconstruction est difficile; l'endettement s'accroît; les autorités veulent libéraliser l'écon. et l'ouvrir aux entreprises et aux capitaux étrangers. Hist. - Au XIXe s., la Perse, qui prendra le nom d'Iran en 1935, fut le centre d'une rivalité anglo-russe, qu'exacerbèrent les découvertes pétrolières. En 1907, le N. revint à la Russie, le S. à la G.-B. Celle-ci acheta la majorité des actions de l'Anglo-Persian Oil Company. En 1921 le chef de la brigade cosaque Rîza khan Pahlavi s'empara du pouvoir. Il déposa la dynastie des Qâdjârs (1925), se proclama chah, fondant la dynastie des Pahlavi, et entreprit d'unifier et de moderniser le pays, comme Mustafa Kemal en Turquie. Favorable à l'Allemagne, il dut abdiquer (1941) au profit de son fils Muhammad Rîza. Dans la période troublée d'après 1945 (révoltes en Azerbaïdjan et au Kurdistân), U.R.S.S. et G.-B. se retirèrent (1946). Le Premier ministre Mossadegh nationalisa l'Anglo-Iranian Company en 1951 et mena une politique antibritannique. En 1953, le chah mit fin à ses pouvoirs (et plus tard le fit arrêter); un accord international partagea les revenus du pétrole entre l'Iran et un consortium. Le chah lança la "révolution blanche" (1962): réforme agraire, enseignement, libéralisation du statut de la femme. En 1973, il obtint la totale maîtrise du pétrole (4e prod. mondiale). Il se rapprocha de l'U.R.S.S. (1965, 1966, 1968) et de la Chine (1970), tout en exerçant un pouvoir tyrannique (appuyé sur la Savak, police politique) et en réprimant la gauche, ainsi que les conservateurs. L'opposition, cristallisée autour d'un religieux, Khomeyni, prit à partir de 1978 une ampleur telle que, après de nombr. insurrections durement matées, où se retrouvaient libéraux, musulmans traditionalistes et prolétariat urbain en formation, le chah fut contraint à l'exil en janv. 1979; la rép. fut proclamée en avril. Le pays était tiraillé entre un gouvernement faible et les puissants "comités islamiques", se réclamant de Khomeyni, qui imposèrent la prise en otage du personnel diplomatique américain (nov. 1979). Abol Hassan Bani Sadr fut élu premier président de la Rép. en janv. 1980. En sept., l'Irak attaqua le pays. L'Iran libéra, en janv. 1981, les otages amér. En juin 1981, Khomeyni fit destituer Bani Sadr, qui se réfugia en France. En oct., Ali Khamenei, chef du Parti républicain islamique, fut élu. La répression intérieure, menée par la milice des pasdarans ("gardiens de la révolution"), s'intensifia contre les moudjahidin du peuple (extrême gauche islamique, écrasée en 1982), l'opposition modérée, le Toudeh (parti communiste) et les séparatistes kurdes. épuisée par le blocus écon. occidental, la révolution iranienne dut céder à l'Irak (cessez-le-feu de juil. 1988). En 1989, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani a été élu président (juil.), après le décès de Khomeyni (juin). Ayant envahi le Koweït, en août 1990, l'Irak, pour s'assurer la neutralité iranienne, a renoncé à ses revendications (notam. sur l'estuaire du Chatt al-Arab). Les législatives d'avril 1992 ont consacré la victoire du président Rafsandjani. La très forte expansion urbaine conjuguée aux difficultés économiques (qu'a accentuées l'embargo commercial décrété par les È.-U. en 1995) entraînent des troubles sporadiques dans les grandes villes. En mai 1997, un séisme à touché le nord-est de l'Iran (4 000 morts). Ce même mois, un religieux modéré, Mohamed Khatami, a été élu président.
Encyclopédie Universelle. 2012.